Sagesse du pluvian
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Juste avant de dormir
Quand l'esprit s'installe en haut
De l'espace, en plein silence,
Son humeur s'étend sur l'eau
Où se dissout sa violence.
La douceur d'une compagne
Et sa musicalité
Sont horizon de montagne,
Il ne faut point s'y hâter.
Le vent du soir n'a pas d'âge,
Il peut se monter aimant
Pour ceux qui sont en voyage.
Dans la mer, rien à comprendre,
Juste observer les récifs
Et naviguer par méandres.
Baudelaire voit une grenouille
À travers la vapeur splendide,
L’aède accourt à toute bride ;
La muse lui offre le vin
Qui produit un songe divin,
Plus doux que de la confiture,
Plus sauvage qu’une aventure,
Plus clair que le ciel du matin.
On voit surgir, dans le lointain,
Une grenouille aux blanches ailes
Qui dit des trucs intelligents
Sur les univers parallèles ;
Puis, dans une eau vive plongeant,
Disparaît au pays des rêves,
Avant que la nuit ne s’achève.
Segalen voit un lézard
Sur le mur du jardin se repose un lézard,
Cousin des fiers dragons qui défendent l'Empire.
Je lui offre une figue, il la mord sans rien dire,
Il n'en mange, au total, qu'une petite part.
Je l'observe pour voir s'il voudra, par hasard,
Inspirer un poème à ma modeste lyre ;
Mais il garde une allure assez pince-sans-rire,
Sans même une lueur dans son humble regard.
Va-t-il, d'une détente, affirmer son éclat ?
Restera-t-il posé sur le mur, bien à plat ?
Dira-t-il un bon mot, ainsi qu'un joyeux drille ?
Malheur ! On ne le voit, maintenant, plus du tout :
Le traître, par surprise, est rentré dans son trou,
Le voici soudain qui par son absence brille !
Pour Robert Desnos
Robert, tu entendais la voix de la Victoire ;
Pourtant le quotidien était encore obscur,
Et d'en sortir vivant, tu n'étais pas trop sûr.
D'avoir ainsi chanté, c'est ton titre de gloire,
Dans le siècle suivant, il est de toi mémoire,
Comme d'un qui savait employer des mots durs,
Mais aussi d'autres mots, doux comme des fruits mûrs,
Comme d'un qui savait raconter une histoire.
Nous savons qu'avec toi l'ennemi fut sévère,
Qu'il te fit embarquer dans sa sombre galère
Et terminer ta vie en souffrant mille maux.
Tu n'es pas revenu de l'exil redoutable,
Les copains n'ont plus mis ton assiette à leur table ;
Mais ils rêvent le soir, en retrouvant tes mots.
Quelques pavots
J’admire les pavots qui transcendent la terre
Lorsqu’ils viennent l’orner de leur rouge beauté.
Ils choisissent leurs lieux dans le plus grand mystère
Et semblent imprégnés de vive volupté.
Tantôt fleuris en groupe et tantôt solitaires,
À la fin du printemps, au début de l’été,
Ils aiment les abords des lignes ferroviaires
Qu’ils peuvent envahir avec facilité.
Ils semblent des drapeaux plantés sur une grève,
Des fantômes mouvants que l’on découvre en rêve
À ces moments où l’on ne sait pas si l’on dort ;
Légers, ivres d’azur, au long du jour ils dansent,
Vers le haut des talus, intrépides, s’élancent,
Et boivent du soleil les tièdes rayons d’or.
Auprès du feu
Un lecteur anonyme est assis près du feu ;
Au loin, la banlieue dort dans la nuit opaline.
Depuis une heure ou deux, vers son livre il s'incline,
Dans lequel un renard instruit un lapin bleu
Sur le grand Charlemagne et son vaillant neveu,
Sur leurs derniers combats au pied d'une colline,
Quand ils ont affronté la horde sarrasine,
Et que le fier Roland rendit son âme à Dieu.
Le lapin veut savoir si cette armée hostile
Eût pu être vaincue de façon plus civile,
Par les applications d'un esprit non-violent.
Le renard n'en sait rien, en y pensant, il tremble ;
Il ne peut décider (ah, c'est fort accablant)
Si les peuples voisins sont faits pour vivre ensemble.
Jour de joie
Je voudrais peindre ma joie
Sur un long rouleau de soie
Exposé au vent léger
Qui traverse mon verger.
Tombent les fleurs des pommiers,
Passent les nuages blancs ;
Déambulent à pas lents
Sur les branches, les ramiers.
L'étrange odeur de la terre
Et la clarté de l'azur
Font un amalgame pur ;
Cette joie involontaire
Ferait vibrer mon pinceau
Tout au long de ce rouleau.
Évanturel voit un démon
J'ai rêvé que j'étais devenu un archange,
Qu'avec le Créateur je buvais un demi
(Dont le goût, cependant, était assez étrange),
Et qu'au bar, un démon était presque endormi.
Il sommeillait, tout en marmonnant la louange
D'une idole païenne à tête de fourmi.
Le Créateur des cieux, sans que ça le dérange,
Contemplait ce client, insolite parmi
Ses nombreux serviteurs, emplumés des épaules.
Il dit : « Que pourrions-nous reprocher à ce drôle ?
Il rêve lui aussi qu'il est pur et parfait. »
Et moi, dans les vapeurs de l'auberge céleste,
Je traçais quelques mots, d'une plume modeste,
Pour dire à quel degré j'en étais stupéfait.
César voit un village
Au tout-puissant César il manquait une chose,
L’ultime soumission d’un village peuplé
D’invincibles Gaulois. Leur sort est contemplé
Par de nombreux voisins que passionne la cause.
Le barde en son jardin chante pour une rose ;
Le druide va bénir un champ de jeune blé ;
Le peuple du village, au banquet rassemblé,
Se moque des Romains dans leur caserne close.
Le village, entouré d’un paisible horizon,
Ne craint pas de César la flamme ou le tison ;
Il peut dormir tranquille en attendant l’aurore.
Tout autour du Romain, des seigneurs de hasard
S’interrogent sans fin ; chaque stratège ignore
Si du village, un jour, triomphera César.
Une proclamation
Au début de sa vie, le poète chantonne,
Trouvant bonne saveur à chacun de ses jours ;
Il dit que les saisons ne sont point monotones,
Car chacune des quatre est le temps des amours.
Puis son printemps s’enfuit, son été l’abandonne,
Son ciel devient porteur de gros nuages lourds ;
Il s’aperçoit alors que c’est déjà l’automne
Et qu’il voit s’approcher la fin de son parcours.
Ce n’est pas pour si peu que son désir s’écroule,
Comme une forte nef, il ne craint point la houle ;
Il reste maître à bord de son monde flottant.
Son âme, vers la mort, restera printanière ;
De l’amour il tiendra bien haute la bannière,
Fredonnant ce poème en son dernier instant.
Goudeau voit une ombre
L’homme, pour subsister, a jadis combattu
La faune, utilisant pour armes ses idées.
Même, ses inventions, quelquefois débridées,
Ont pu mettre en danger ce citoyen têtu.
Nu qu’il était jadis, le voilà bien vêtu,
Puis voilà sa raison bien ferme et bien guidée,
Qui rarement se voit par l’ombre intimidée :
Cela fait si longtemps qu’elle en a débattu.
Même, on sait abreuver de mots la galerie,
Car tout ce qui fait peur, il faut que l’on en rie
(Et mieux rira celui qui le dernier rira).
Elle est bien là pourtant, l’angoisse souterraine ;
Mais nous lui opposons la poésie sereine
Qui autant fleurira que la vie durera.
Aloysius voit une fée
Une fée vient au soir sauvegarder mon coeur,
Ayant, pendant le jour, soulagé la misère
De plusieurs vagabonds. Elle entre en ma chaumière,
Délivrant mon esprit des succubes moqueurs,
Puis me conte un récit des anciens chroniqueurs,
Ou me dit les amours des fleurs du cimetière,
Ou des petits oiseaux l'émouvante prière,
Avec des mots plus doux qu'une pure liqueur.
Un ange, repliant ses ailes de faucon,
Atterrit avec bruit sur le bord du balcon,
Illuminant la chambre au travers des fenêtres.
La fée sort de la chambre et reste auprès de lui ;
Puis, dans le grand silence, au milieu de la nuit,
J'entends battre les coeurs sans chair de ces deux êtres.
Du Bellay voit une mouette
Un vieux poète en son crâne amassait
Un grand troupeau de rimes vagabondes,
Et, se perdant en rêveries profondes,
Au long du soir, les chimères chassait.
Dans le foyer, la braise rougissait ;
Au fond du verre, un peu de bière blonde.
Quelques oiseaux gazouillaient à la ronde,
Et le papier de vers s'enrichissait.
Près du canal, comme une flèche vive,
Une mouette a, survolant les deux rives,
Surgi du ciel, par surprise, en riant.
Cet oiseau blanc dans la nouvelle aurore
Fait que le jour de plaisir se colore
Et d'un sourire apporté d'Orient.
Victor Hugo voit la lune
Victor Hugo confond la lune avec l’hostie,
Il aurait bien du mal, peut-être, à l’avaler.
Il parle du sacré sur un ton décalé,
Il dit que le bocage est une sacristie,
Que le faux empereur n’aura pas d’amnistie,
Que du chant d’un oiseau l’on doit se régaler...
Il écrit tout cela, poète inégalé,
Réinventant l’église et son eucharistie.
Nous aimons cette voix, cet univers qui fume
Et tremble en subissant des tempêtes d’écume ;
Nous aimons l’ironie de ce barde géant.
Nous lisons ce qu’écrit l’homme calme et terrible ;
Nous entendons frémir un écho de la bible,
Avec l’invocation de l’éternel Néant.
Louis Ménard voit une lyre
Jadis, dans mon grenier, j’ai trouvé une lyre
Capable d’émouvoir et de faire sourire
Tous ceux qui entendront ses accents caressants ;
C’est par cet instrument que mon âme respire.
Cette lyre n’est pas un monstre rugissant,
Ni l’orgue qu’on écoute en brûlant de l’encens ;
Simplement elle chante, elle amuse, elle attire,
Sans jamais se servir de charmes trop puissants.
C’est pour accompagner mes paroles sans suite :
Tantôt l’évocation d’un village charmant,
Tantôt un souvenir dont je ne sais s’il ment,
Une histoire qu’en prose autrefois j’avais dite,
À l’heure où la maison paisiblement s’endort,
Où plus léger se fait de la lyre l’accord.
Vincent Hyspa voit un baromètre
Printemps dont l'an dernier se réchauffait mon âme,
Tu es froid cette année, je le dis et proclame !
Je te connus, brillant et joyeux dans les coins
Où j'allais caresser les belles, faisant foin
De raison, de décence ainsi que de mesure.
L'herbe jeune était tiède au gré de nos désirs ;
Le soleil lui donnait un éclat de saphir
Et le vent dans les bois répandait son murmure.
Le ciel de cette année me semble un ciel d'hiver,
Les sentiers, des torrents aux trop boueuses rives ;
De rustiques amours, c'est ainsi qu'on se prive,
L'herbage est trop mouillé, même s'il est bien vert.
Allons donc nous chauffer au bon feu de la forge ;
Buvons une infusion contre le mal de gorge.
Charles Cros voit des vaches
J’ai rêvé que j’étais un taureau dans un pré.
La rosée du matin mettait une étincelle
Sur chaque brin d’herbage, et la sombre hirondelle
Poursuivait sans répit les insectes dorés.
Mes vaches (trois ou quatre, et belles à mon gré)
Savaient pertinemment ce que je voulais d’elles.
J’étais heureux quand on m’en offrait de nouvelles,
Et je vivais ainsi, de chacune adoré.
Car nous autres taureaux, ne sommes point serviles
Et ne nous activons, comme les gens des villes,
À du travail utile, à des ouvrages lourds.
Cependant, de l’humain, la vie n’est pas infâme :
Je trouve, quant à moi, bien mignonnes ses femmes,
Elles qui, cependant, ne m’aiment pas toujours.
Bal des oiseaux
J'ai vu sur les graviers danser un pélican
Et en face de lui, trois casoars farouches ;
Ils étaient entourés de quarante oiseaux-mouches
Sous le regard ému des canards claudicants.
J'ai vu de beaux oiseaux d'espèces ignorées
Et d'autres familiers, des cygnes, des poussins,
Des autruches faisant onduler leur bassin
Et l'oiseau de Krishna dont les plumes dorées
Lançaient dans le soleil des reflets éclatants ;
La colombe de Dieu, le corbeau de Satan
Et, fidèle à Prévert, le farceur oiseau-lyre.
Mais voulez-vous savoir quel est le plus divin ?
C'est celui que pour Maître ils ont choisi d'élire,
C'est l'oiseau-charpentier qui de l'eau fait du vin.
Oisiveté dominicale
Le dimanche matin, près des boutiques closes,
Ou le long d’un grand parc où s’ouvrent mille roses,
Ou dans la fraîche impasse ombragée de tilleuls,
Je vais droit devant moi, comme un paisible aïeul.
Désert, le cimetière aux innombrables tombes,
Pas même le corbeau ni la blanche colombe
N’y sont présents ce jour. Las de me promener,
Je m’assois au fond d’un jardin abandonné,
Et ces quelques quatrains paisiblement se forgent
Dans un grand carnet noir que j’ai toujours sur moi ;
J’écris ce texte au son des cloches du beffroi,
Sous l’oeil indifférent d’un jeune rouge-gorge.
Mais je n’aligne point les rimes par milliers :
Ils offrent l’apéro, mes voisins de palier.
Heredia voit des rimes
Heredia, les sonnets dont tu m'ensorcelas
Me font prendre aujourd'hui ma plume du dimanche
Et sortir du tiroir l'album doré sur tranches
Pour tâcher d'y répondre avec autant d'éclat.
Mais tu es imbattable à ce noble jeu-là ;
Je reste confondu, devant ma page blanche,
Je dois renoncer à l'impossible revanche,
Avant de commencer, mon projet tombe à plat.
J'aurais dû m'en douter. Ce plan mégalomane
Était démesuré pour un rimeur profane
Répétant après toi les mots par toi tressés.
À présent, je me tais, ou plutôt je dis « Trêve
De forfanterie, car, comme auteur du passé,
Tu n'es point surpassable, Heredia, même en rêve. »
Dupanloup voit un empereur
Le père Dupanloup en Chine s’exila.
Par-derrière approchant l’Empereur sur son trône,
Il voulut profaner cette vivante icône,
Mais le bourreau lui dit « Allons ! Restons-en là. »
Donc, parmi les élus que Félix empala,
On compte des humains, des demi-dieux, des faunes,
Mais non pas l’héritier du vieil Empereur Jaune ;
Il s’en fallut de peu, la chronique en parla.
Dupanloup, poursuivant cette visite en Chine,
Connut des cotillons de toutes origines,
Laissant un souvenir qu’on peut dire immortel ;
Mais ce qu’il racontait, nul ne put le comprendre,
Car c’était le latin qu’il parlait à l’autel,
Ne voulant aux patois vulgaires condescendre.
Baudelaire voit une montagne
Mon ermitage est comme un chalet de montagne,
Où passe, au fil des jours, ma vie sans grande ampleur ;
Je lis les vieux auteurs français dont j’accompagne
Les vers par d’autres vers, comme on plante une fleur
En un jardin fleuri, mais non sans maladresse :
Je n’ai que le talent d’un modeste jongleur.
La langue cependant, généreuse maîtresse,
M’inspire dans le soir (ou le petit matin)
Des phrases que de mettre en ce lieu je m’empresse,
Avant de m’endormir dans mes draps de satin.
Ce ne sont que fragments qu’ici et là je glane,
Ça n’a point la grandeur des vieux auteurs latins,
Ni l’étrange douceur des brises océanes ;
Ce sont des mots tracés pour vous faire plaisir,
Vous qui lisez ces vers écrits par un profane.
Tintements de cloche
Cloches de l'Hôtel de Ville
Et vieux carillons des champs,
Dans vos tintements tranquilles,
De beaux jours vont s'écoulant.
Votre son clair nous convie
À bien des plaisirs promis,
À profiter de la vie,
À rencontrer nos amis.
Pour le tournoi qui s'apprête,
Pour la noce et le festin :
Vous sonnez pour toute fête,
Vous sonnez soir et matin.
Pour les heures estivales
Que vous marquez à grand bruit,
Pour la paix dominicale
Et pour la lune qui luit,
Cloches, vous devenez lyres ;
Quand je me réveille tôt,
Vous avez l'air de me dire
Des poèmes matinaux.
Braves carillons rustiques,
Sans ornement, sans émoi,
Marquant des temps identiques
Dans la chaleur et le froid ;
Rien ne vient vous interrompre,
Vous tintez tout à loisir,
Semblant y prendre un plaisir
Que rien ne saurait corrompre.
Heredia voit du sable
Jamais je n’ai voulu saisir l’insaisissable :
La joie de chaque jour suffit à m’enchanter.
Un verre de vin rouge, un rosier bien planté,
Un tour dans mon quartier, l’invention d’une fable,
Telles choses me sont plaisirs impérissables.
Par les vastes projets, je ne suis point tenté ;
Qu’importe que mon nom soit rarement cité,
Je sais que mes sonnets sont écrits sur du sable.
Mais mon plaisir de vivre est gravé dans l’azur.
Mon âme en s’envolant peut franchir tous les murs
Pour rejoindre la mer aux plus lointaines grèves ;
Je suis moins ambitieux qu’un fier Conquistador ;
Je baigne toutefois dans la splendeur du rêve
Qui sur le quotidien pose une feuille d’or.
Pour Antonin Artaud
J'aime tracer des mots dans un style archaïque,
Sur le jardin, la croix ou l'amour éperdu,
La beauté du cosmos (dont je suis confondu),
La voix de Salomé murmurant un cantique,
La douceur retrouvée d'un monde bucolique,
La froidure en hiver qui fait les arbres nus,
Un refrain familier à l'école entendu
Et l'éclat lumineux des dames exotiques.
Je ne veux point l'argent, ni le pouvoir sur terre,
Je m'installe à ma table, et j'écris, solitaire,
Ces quelques mots qui vont questionnant l'infini.
Sans les interpréter, j'évoque des mystères :
Ma plume va dansant, son ombre dans la nuit
Baigne dans la lueur de l'étoile polaire.
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