Sagesse du pluvian
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Petit dieu barbare
Au temple de granit, le dieu se trouve à l’aise
Où l’on entend prier du matin jusqu’au soir,
Presque aussi fréquenté que ne sont les comptoirs
Ou la grotte où la Vierge a parlé à Thérèse.
On orne ses autels avec du vin, des fraises
Des récipients brillants comme des ostensoirs,
De rouges inscriptions, des hiéroglyphes noirs,
Que la saison soit bonne ou qu’elle soit mauvaise.
Les musiciens du roi sonnent sur tous les tons
Des cantiques sacrés, des chants de mirliton ;
On frotte la statue d’une très douce brosse.
Le dieu sait l’Oméga, il sait aussi l’Alpha,
Il sait même le sort qui Tantale assoiffa ;
Il est donc très puissant, mais il n’est pas féroce.
Saint Graphomane
Cet ermite se croit le transcripteur des mondes
Et de son scriptorium n’ouvre pas les rideaux ;
Son esprit, dérivant comme un léger radeau,
Guide négligemment sa plume vagabonde.
Il ne s’attarde point sur des choses profondes,
Mais il peut commenter le babil d’un oiseau ;
Il peut certes penser, mais pas plus qu’un roseau,
Ses vers presque toujours à d’autres vers répondent.
Aucun auteur ne craint qu’on marche sur ses pas ;
L’hommage imitatif, ça ne le gêne pas,
C’est comme rajouter une herbe au paysage.
On peut le constater, ce graphomane est vieux,
À peine pourra-t-il tracer quelques passages
Et faire quelques pas, tranquille, sous les cieux.
Piaf-Chorégraphe
Son noir regard voit danser l’univers,
Ça lui inspire une pensée profonde ;
Il saute un peu, puis il danse une ronde
Agrémentée de mouvements divers.
Ce chorégraphe a les yeux bien ouverts ;
Il entend tout, il peut capter des ondes,
Il peut sentir l’étrangeté du monde,
Plus d’un secret fut par lui découvert.
Voici qu’il danse, et la danse est sa vie,
Il m’impressionne, et ma muse est ravie,
Qui trouve ça plus subtil qu’un sonnet.
C’est un oiseau, plus léger qu’un humain,
Qui d’assez haut survole nos chemins ;
Il est très fort, ça, je le reconnais.
Dame hésitante
La Dame a deux amants, l’un sage et l’autre fou,
L’un qui pense profond et l’autre qui délire ;
Prendre une décision, ce serait un martyre,
Donc la Dame au final ne choisit rien du tout.
La Dame en son jardin longtemps se tient debout,
Évoquant les attraits de ces deux nobles sires ;
L’un qui doucement parle et l’autre qui soupire,
Sans qu’elle se l’avoue, ils lui manquent beaucoup.
L’amour et la souffrance ont engendré la peine,
Me disait l’autre jour la petite sirène ;
Il est vraiment ainsi, ce monde impermanent.
La Dame ne prend point ma complainte au tragique,
Ni le fol amoureux, ni l’homme raisonnant ;
Aucun des trois n’abrite une âme nostalgique.
Feuille d’inframonde
L’automne la saisit, le vent la fait tourner,
Et jusqu’à l’inframonde, elle y est descendue ;
Un démon voit venir la feuille inattendue
Qui dans son beau jardin ne peut plus retourner.
La feuille sur ce point ne veut pas s’obstiner,
Elle doit vivre ici, la chose est entendue ;
Jetant quelques regards sur la sombre étendue,
Elle accepte le sort qui lui fut destiné.
Si le vieux jardinier l’avait livrée aux flammes,
Comme cendre légère aurait erré son âme,
Poussière imperceptible, invisible en plein jour ;
Si elle était tombée dans l’eau d’une fontaine,
Elle aurait entendu le son des voix humaines
Parlant de moins que rien, parlant de leurs amours.
Adam et Lilith
Nancy Denommee
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Adam aimait l’amour sans avoir jamais vu
De féminin minois… et puis, une luronne
Qui n’a pas froid aux yeux, à ce point l’impressionne
Que son cœur de l’Eden ne se satisfait plus.
Et lui qui se montrait tout innocent et nu
Devient majestueux au milieu de l’automne,
Les oiseaux du jardin, bien sûr ça les étonne,
De le voir explorer ce parcours inconnu.
Mais Adam n’est pas libre, et sa vie est inscrite
Au plan du Créateur, en sa règle, en ses rites.
Lilith partit un jour vers je ne sais quel sort.
Adam n’a de cela gardé nulle souffrance,
Ce bel amour était une vaine plaisance ;
Celui qu’il a pour Eve est fort comme la mort.
Les auxiliaires du temps
Cocteau
Aion dit à Kairos : « Ecrivons un sonnet »,
Chronos le leur permet, ils n’ont rien d’autre à faire.
Aion se gonfle alors comme une énorme sphère
Et Kairos de grands coups de pinceau lui donnait.
Chronos aux alentours, calme, se promenait,
Qui pas toujours avec ses adjoints n’interfère,
Jugeant qu’en certains cas ils savent leur affaire
(Ça fait un certain temps, déjà, qu’il les connaît).
Aion, sans prévenir, se réduit en un point,
Les tracés de Kairos alors ne se voient point,
C’est dommage, ils étaient d’une belle écriture.
Il faut se résigner. La surface du temps,
C’est une bulle, et non un papier résistant :
Elle ne retient pas notre littérature.
Nolens Volens
Adam aurait voulu rester singe docile,
Mangeant sa nourriture au moment d’avoir faim,
Ne perdant pas son temps à des discours sans fin,
Ne cachant pas son sexe en un bout de textile.
Mais il est surchargé d’un cerveau trop habile
Qui de trop de détails veut le mettre au parfum.
Dieu qui jamais n’admet que l’on soit son dauphin
Le condamne aussitôt à des efforts stériles.
Adam jette son dieu dans une inexistence
Dont il avait sans doute une intime prescience,
Car l’intéressé n’a pas beaucoup protesté;
Le monde cependant, géré par le primate,
Ne plaît plus désormais qu’à quelques psychopathes,
Que nous sommes, serons, que nous avons été.
Aux antipodes du plaisir
Edvard Munch
Aux antipodes du plaisir
se forme un territoire sombre
où l’esprit semble rétrécir
où les dangers sont en grand nombre
Ce lieu princesse il faut le fuir
nul ne reste là sans encombre
tout ce qu’on y ferait grandir
au lendemain serait décombres
Ton âme une mouvante sphère
aura toujours des tours à faire
et s’agitera pour un rien
Si de moi je n’étais otage
vers toi je ferais ce voyage
j’entends tes mots ça fait du bien
J’écris au bord de l’eau
Peinture chinose
Assis au bord de l’eau, je compose un sonnet
Directement au dos d’une carte postale ;
J’enverrai cette fleur à quatorze pétales
A une amie de coeur qu’au lointain je connais.
Ce serait un haïku, si j’étais japonais ;
Illettré, ce seraient trois fleurs sentimentales.
Car, puisqu’ils n’avaient point même langue natale,
Homère un autre chant que Virgile entonnait.
Boîte aux lettres, quand tu détiendras ce courrier,
Que vienne le postier, sans se faire prier,
Le prendre et le porter où vit ma douce amie.
Facteur, quand tu verras la belle en son château,
Donne-lui mon écrit tracé au bord de l’eau,
Puisqu’il contient mon coeur, mes soupirs et ma vie.
Arbres de Grande Garabagne
La Grande Garabagne a des forêts fort belles,
Capables d’occulter la lumière du jour ;
Au coeur de la forêt sont les arbres d’amour
Qui au regard du monde offrent des fleurs nouvelles.
De telles floraisons ne sont pas éternelles
Et je peux voir les fleurs se faner tour à tour ;
Prier pour leur survie, ce n’est d’aucun secours,
Pour nous autres non plus, quand la mort nous appelle.
Les gens de Garabagne élèvent des troupeaux,
C’est pour alimenter les festins de la reine ;
Et ces gens couperont les arbres les plus beaux
Pour nourrir les fourneaux, ce n’est pas chose vaine :
Dans le bois pleureront le faune aux durs sabots
Et la dryade aussi, qui de l’arbre est marraine.
Dame Tortue
Dame Tortue a lu jadis de longs ouvrages,
Elle y sut dépister les plus fines erreurs ;
Elle y prit plus de temps que le lièvre coureur
N’en passe en promenade, en vadrouille, en voyage.
Comme le boeuf procède au patient labourage,
Comme creuse un dossier le digne procureur,
Comme garde son cap un robuste barreur,
Elle accomplit toujours ses petits nettoyages.
Elle goûte la prose, elle aime aussi les vers,
Elle peut se plonger dans des sujets divers
Et croit que les sonnets ne sont pas inutiles.
Mais parfois, il suffit d’un beau nuage au ciel
Ou de l’odeur sucrée des tartines de miel
Pour mettre aussitôt fin à ce labeur fertile.
Vestale de la steppe
Elle voudrait passer par le miroir d’Alice
Ou trouver un abri dans un un songe éternel ;
N’ayant point de miroir, et pas même un tunnel,
Elle va sous le ciel où des nuages glissent.
Elle connut jadis la ville et ses délices,
Et quelques étudiants gentils et fraternels ;
Mais elle n’avait pas des goûts traditionnels,
Ne demandant jamais le pain ni le calice.
Le seigneur d’un manoir aux antiques tourelles
A voulu s’emparer de cette tourterelle ;
Mais c’est une vestale impossible à saisir.
Ni pour le vagabond qui chante sur la berge,
Ni pour le moine assis dans la lueur des cierges,
Ni même pour un prince, elle n’a de désir.
L’art de planer
Ce bel oiseau paisiblement volant,
Nul ne le chasse et nul ne le menace,
Ni le faucon qui frappe avec audace,
Ni le vautour aux cercles affolants.
Son coeur est frais sous le soleil brûlant,
Loin de sa route est la terre, fort basse ;
Il va planant, comme privé de masse,
Sans inquiétude et sans gestes violents.
La hulotte est sa cousine germaine
Qui dans la nuit traverse son domaine ;
Grande sagesse est en ce noble chef.
D’un noir nuage à l’autre vont la foudre
Et les démons dans une odeur de poudre,
Auxquels l’oiseau accorde un regard bref.
Saint Martin Pêcheur
Qui aurait cru, Martin, que tu devais
Te transformer de manière aussi belle
Et devenir cet oiseau bien rebelle ?
Certainement, ton ange le savait.
Ce protecteur qui ton âme couvait
Avait prévu de t’offrir ces deux ailes
Et d’habiller ta substance immortelle
D’un pareil corps qu’agréable il trouvait.
Vers le ruisseau nous te voyons descendre,
Celui-là même où se baigne Cassandre ;
Au ras de l’eau tu files comme un trait.
En cet oiseau, bienheureuse est ton âme,
Tu peux voler et tu peux plaire aux dames ;
Sur ton blason figure ton portrait.
Sagesse du dinosaure
Le dinosaure a dit : «Mon époque fut belle,
Sans ces bruyants engins qui sont malodorants;
Heureux ce temps pour nous, aussi pour nos enfants,
Et peut-être aussi pour ma compagne fidèle.»
Or, je ne peux en faire un sujet de querelle,
Je suis accommodant quand l’adversaire est grand;
Et puis ces souvenirs qu’il s’en va savourant
D’une douce couleur de nostalgie se mêlent.
D’ailleurs, quand il était maître de ce terroir,
Il était respecté pour son beau nonchaloir ;
Il ne tourmentait point la faune obéissante.
Peut-être, je devrais lui dire qu’il est mort,
Que seuls restent les os de sa forme géante ;
Mais il parle si bien, pourquoi lui donner tort ?
Aigle de Talence
C’est l’aigle, un noble caractère,
Et j’aime l’entendre se taire ;
Il n’est pas d’oiseau plus charmant,
C’est ce que je pense, vraiment.
Il peut planer loin de la terre,
Il peut capturer des panthères ;
Il est un remarquable amant,
Il se tait, jamais il ne ment.
Nul ne peut savoir ce qu’il pense,
Cet aigle, seigneur de Talence ;
C’est ce dont il n’a nul souci.
Très doux, jamais il ne se moque
Des grands oiseaux de son époque,
Lesquels le respectent aussi.
Dragon du calice
C’est un noble dragon, ce n’est pas un lézard,
Il reçoit de la viande et du vin de l’Empire ;
Assis dans un calice, il reste sans rien dire,
Ayant, de la boisson, goûté plus que sa part.
Le seul dieu qu’il invoque est celui du Hasard,
Jamais celui du Temps ni celui de la Lyre ;
Il lit des vers tracés par le démon du Rire
Mais ne porte sur eux qu’un fugitif regard.
Je le vois dans ce temple affirmer son éclat,
Surtout quand le cuistot lui apporte un bon plat ;
C’est un noble dragon, mais c’est un joyeux drille.
Au temple, certains jours, il ne vient pas du tout,
Préférant méditer tout au fond de son trou ;
Mais il reste au jardin lorsque la lune brille.
Ermite subtil
Cet ermite parvient à sublimer l’amour,
Nulle amie devant lui ne doit se mettre nue ;
Il aime cependant draguer une inconnue
À l’ombre des grands bois, dans le déclin du jour.
Son corps est élégant, son esprit n’est pas lourd ;
Son âme quelquefois va planer dans les nues
Au-dessus de la ville aux vastes avenues ;
Aux célestes accents son mental n’est pas sourd.
Libido en repos, mais sans être étouffée ;
Il n’est donc plus question de gagner des trophées,
Ni d’accomplir non plus d’aventureux parcours.
À la douce vestale il ne fait plus la cour,
Il n’écoutera plus les soupirs de la fée ;
Il est bien apaisé, cet humble troubadour.
Sagesse de l’archange
Cet archange du ciel est plus noble qu’un roi,
Il connaît du cosmos l’étrange architecture ;
Il sait que le ciel bleu n’est pas une toiture
Et que même un photon ne va pas toujours droit;
Pour chanter, il connaît des mots de bon aloi,
Bien faits pour célébrer l’auteur de la nature ;
Il porte avec grandeur son habit sans coutures,
Il incarne la lettre et l’esprit de la loi.
Il connaît l’inframonde et ses énormes fours,
Le maudit Adversaire et sa sinistre cour,
Quelques démons pensifs, et d’autres, désinvoltes.
Il écoute la voix du fils du charpentier
Qui de mille univers planifie le chantier ;
Il attend le pardon des anges en révolte.
Roi pêcheur
Le roi pêcheur marche sans bruit
Car c’est un modeste monarque ;
Vers la rivière où sont les barques
Il se dirige en fin de nuit.
C’est en vain que le poisson fuit;
Le roi est vif, je le remarque,
Et sans pitié, comme les Parques :
Le poisson bientôt sera cuit.
Un roman de René Fallet
En donne un fidèle reflet ;
Il n’oublie pas la reine brune.
Il dit les bons plats mijotés
Puis le Bourgogne Aligoté
Que le roi boira sous la lune.
Arbre de la bienheureuse ignorance
Adam de ce bel arbre apprenait le silence,
Et le scribe nous dit qu’il s’agit d’un bienfait ;
Même dans un jardin où rien n’est imparfait,
La réserve est de mise, et surtout, la prudence.
L’homme, qui se voudrait Fils de la Providence,
Dit sa divinité à l’ange stupéfait ;
Mais il aurait mieux fait de se taire, en effet,
Le Serpent l’entendit, monstre de Connaissance.
Le reptile subtil, d’inframonde venu,
A tenu des propos que l’homme a retenus,
Qui voulut découvrir la saveur de la pomme.
Ses enfants seront-ils rachetés par leur foi ?
Salomon le saurait, fils de David, le roi,
Ou le sombre Adversaire, ou le pape de Rome.
Saint Hippographe
Ce saint de l’écriture affiche sa maîtrise,
Lui qui est rigoureux, mais sans sévérité ;
À peine montre-t-il parfois sa sainteté
Ou la sobre grandeur de son âme soumise.
La richesse ici-bas ne lui fut point promise,
Jamais à ce détail il ne va s’arrêter ;
Il ne se plaindra pas non plus de sa santé,
Ni même, semble-t-il, du destin qui nous brise.
Tu demandes s’il a des ressources cachées ;
Sa personne n’est pas à ses biens attachée,
Ni ses frères humains ne seront ses rivaux.
La douceur du présent lui paraît infinie,
Laquelle aux temps anciens donne leur harmonie;
Il aime l’avenir, qui est le renouveau.
Semeur de rimes
Ne possédant point l’art de gravir une cime,
Il suit tout simplement le chemin qui descend ;
Il écoute parfois ce que dit un passant,
Sans s’attendre jamais à des propos sublimes.
Est-ce un antique barde, est-ce un semeur de rimes,
Ou ne serait-ce rien qu’un flâneur innocent ?
Posant son regard sur les mots qu’il va chassant,
Il sourit de plaisir et son esprit s’anime.
Face au grand univers dont la sagesse éclate,
Nul ne se satisfait d’une prose trop plate ;
Chacun veut s’enquérir de la règle du jeu.
Le chemin passe aussi devant des sépultures ;
En elles nous voyons nos demeures futures,
Nous y ferons graver un beau sonnet d’adieu.
Chien sans collier
Ce chien ne reconnaît ni maître ni maîtresse,
Il pourrait obéir mais ça ne lui dit rien ;
Cependant il veut bien accepter les caresses
Et se promène, sauf s’il fait un temps de chien.
Or, c’est ainsi qu’il mène une vie d’allégresse,
Accompagné d’humains qui le comprennent bien ;
Et puis, il ne commet jamais de maladresse,
Quand il n’est pas d’accord, sa colère il retient.
Il s’assoit au jardin pour admirer les roses,
Il reste sans rien faire, il songe à mille choses,
Si j’ouvre le portail, il ne dira pas non.
Sans qu’il ne soit soumis, l’animal est fidèle,
À certains points de vue, c’est un clébard modèle,
Ce poème aurait pu rendre honneur à son nom.
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