Sagesse du pluvian
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Un rhapsode pour Noailles
Un vieux rhapsode commentait
Des auteurs anciens les ouvrages ;
De vers il les agrémentait,
Pour leur rendre un modeste hommage.
Il les visitait chaque jour,
Il baignait dans leur atmosphère ;
Il leur témoignait son amour
(Duquel ils n’avaient rien à faire).
Dans tous ces couplets, longs ou brefs,
Sa verve était sentimentale ;
Et le lendemain, derechef,
Il suivait cette voie fatale.
Lorsqu'il veut s'amuser
Lorsqu'il veut s'amuser, Scarron se fout du monde ;
Le roi même, en ce cas, sera pris pour sujet,
Comme nous pouvons voir aux madrigaux qu'il fait
Ou à d'autres chansons (les exemples abondent).
Le roi ne s'en fait pas, ne tonne ni ne gronde,
Il est même flatté d'être mis en sonnet
Par un subtil auteur, qui vraiment s'y connaît,
Donnant à ses lecteurs jubilation profonde.
Il sait qu'il n'est qu'un roi, ne se prend point pour Dieu,
Qu'il lui faut du papier quand il se rend aux lieux,
Que son corps est en proie à bien d'autres misères ;
Un monarque, il le sait, n'est pas un immortel.
Il a vu le cercueil où reposait son père
Et les pleurs de sa mère approchant de l'autel.
Rencontrer un pluvian
Je voudrais rencontrer un pluvian fluviatile
Pour l’écouter chanter, là-bas, sous le ciel noir ;
Si l’oiseau, en plein jour, est fort plaisant à voir,
La nuit fait émerger ses mélodies subtiles.
Il se tiendrait, repu, sur la rive fertile.
Les insectes diraient leurs mots, sans l’émouvoir ;
Délaissant tout à fait la quête du pouvoir,
Il n’aurait pas non plus de rêves mercantiles.
Mais près du crocodile on est un peu nerveux,
Même, on sent la sueur imprégner les cheveux
En s’approchant, la nuit, de cette grosse brute.
J’irai voir le pluvian quand il sera tout seul ;
Je boirai avec lui ma tasse de tilleul
En écoutant sa voix, plus douce que la flûte.
Un vieux bouquin pour Verlaine
On chasse le vieux livre, on s’y prend patiemment.
Scrutant l’empilement jusqu’à l’instable cime,
Poussant le bouquiniste en son retranchement,
On cherche le trésor que si fort on estime.
Le livre toutefois, caché sournoisement
Dans le fond d’un tiroir, sait qu’il est rarissime
Et ne se montre point. Mais au bout d’un moment,
Il convient que l’on peut s’afficher magnanime ;
Il surgit, au grand jour. Le bon client s’exclame :
« C’est toi ! je t’ai cherché, remarquable bouquin,
Et je te trouve ici ! Allons ! Petit coquin !
Depuis trente ans, je vois ton nom sur mon programme
De lecture, et je vais te lire cette nuit. »
(Le lisant, il n’en est que faiblement séduit).
Victor Hugo dans l'ombre
Victor Hugo explore un territoire d’ombre,
Écoutant les propos d’un spectre à l’humeur sombre.
Aucun des deux n’ayant envie de plaisanter,
Leur entretien sérieux noircit l’obscurité.
L’infini dans un coin ouvre sa vaste bouche,
Impressionné qu’il est par ces penseurs farouches.
Au fond du souterrain, le son éclate et meurt,
Puis se trouve noyé dans de grises rumeurs.
Alors, on voit monter, au firmament funèbre,
La lune bleue qui semble un oeil dans les ténèbres,
Observant le débat d’un air mystérieux.
Le spectre vient de dire « Il faut tâcher de vivre » ;
Victor a noté ça dans la marge d’un livre.
Mon rêve se termine, et j’ouvre de grands yeux.
J'ai rêvé...
J'ai rêvé. J'étais clown, en tenue de marin ;
Je m'exprimais sur scène avec le plus grand zèle,
Faisant rire les gens, les aïeuls, les pucelles,
D'un humour décalé occupant le terrain.
Assis au premier rang, s'esclaffait mon parrain,
Accompagné, ce jour, d'une jeune donzelle
Qui se donnait des airs de rougissante oiselle
Tout en nous gratifiant d'un sourire serein.
Le vieillard, comme pris d'une joyeuse ivresse,
Avait l'air de songer à de douces caresses
(Entrer dans le détail ? Je ne sais si je dois).
J'ai rêvé que j'étais un amuseur-poète,
Composant ce sonnet dans lequel se reflète
Le clownesque propos d'un rimeur maladroit.
Tu l'as dit
Tu l’as dit, Agrippa, la vie n’est pas si dure.
N’avons-nous pas sur nous les ombres des cyprès
Que nous aimons, bien qu’ils côtoient la mort de près ;
L’existence est bien douce en ces coins de verdure.
Si de plus, en ton coeur, la poésie murmure,
Si l’amour (au grand jour ou dans un lieu secret)
Te fait mettre en chanson quelques fabuleux traits,
Nul ne peut désirer plus charmante aventure.
Si ta rime jamais d’un deuil ne s’obscurcit,
Si ton esprit toujours scintille et retentit,
Je rendrai mon hommage à ton don précieux.
Je sais que ton corps a traversé des tourmentes,
Que l’Histoire a produit des drames sous tes yeux ;
Mais ta muse te garde, une si belle amante !
Un vicaire
J'ai entendu parler d'un curé solitaire.
Il cherchait vainement l'aide qui lui manquait ;
Un jour, un paroissien lui offre un perroquet
Qui, avec dignité, se comporte en vicaire.
Mais cet oiseau avait la chasteté précaire :
Souvent, au poulailler, le soir, il pratiquait
Des vices dont le prêtre, à bon droit, s'offusquait,
Lui qui se comportait en pieux célibataire.
À la fin, le curé punit le débauché :
Il s'arme d'un rasoir afin de retrancher
Les plumes qui rendaient sa tête magnifique.
Le dimanche suivant, un chauve vient prier.
Notre vicaire, alors, se met à lui crier
« Dis-nous quelle est la poule avec qui tu forniques !»
Poésie ! Ô parcours...
Poésie ! Ô parcours furtif d'un campagnol,
Tout autour de Paris les collines s’effacent
C’est la belle au boudoir que charme et que délasse
Un amusant récit du vieux Marcel Pagnol.
Face au miroir sans tain les gens font les guignols,
Face au désert de sable est un désert de glace...
Le miroir a perdu de ta forme la trace :
Reste au fond du désert, âme du rossignol.
Un escargot s'envole et part à l'aventure ;
Mon esprit vagabonde au fil des sépultures,
Ma plume n'écrit plus, c'est devenu un os.
J'ai presque terminé de narrer cette histoire ;
Mais si vous farfouillez tout au fond de l'armoire,
Vous devrez prendre garde au vieux rhinocéros !
Le barde meurt de soif
Le barde meurt de soif auprès de la fontaine,
Puis il se désaltère aux rayons du soleil ;
De l’eau, de la lumière, il trouve tout pareil,
D’un plaisir inconnu son âme est soudain pleine.
Entre lui et le monde il ne perçoit qu’à peine
Une séparation; entre son sang vermeil
Et ce qu’il vient de boire, entre veille et sommeil,
Entre son propre chant et ceux de la sirène.
De fines gouttes d’eau sur le pot de vin blanc
Forment quelques ruisseaux qui en ornent les flancs,
Transformant en joyau cette humble terre cuite...
Un vent glacial se lève et nous chasse de là.
Ce printemps dans l’automne a perdu son éclat,
Cette étrange douceur a soudain pris la fuite.
Licorne en reine déguisée
Puis la licorne, en reine déguisée,
Attend le roi dans son grand lit carré.
Son coeur qui bat d’amour démesuré
Conçoit en lui les plus hautes visées.
Sur l’oreiller sa crinière est posée,
Guettant l’entrée du monarque honoré ;
La chambre baigne en ces reflets dorés
Et en fragrance hardiment composée.
Aux quatre coins du lit, des pommes d’or,
Un élément naïf dans le décor
Auquel, lecteur, tu peux bien condescendre.
Le roi, pourtant, n’est point là. Quel tourment,
La longue nuit qu’elle passe à l’attendre ;
Chez la marquise, il soupe, ce gourmand.
Le chou et le lien
Un Chou mijotait dans un pot,
Il avait chaud (que Dieu le garde) ;
Lui, des légumes le plus beau,
Vit un lacet qui, par mégarde,
Avait été dans le potage mis.
« Allons, dit le légume, allons donc, mon ami,
Vous aurait-on tiré d'un bocal de vinaigre ?
Que faites-vous ici, vous êtes bien trop maigre. »
« Aussi, répond le lien, en sortirai-je libre .
Ce qui n’est point le cas d’un gars de ton calibre. »
Si tu veux à ma fable une moralité :
Mieux vaut, parfois, être un inadapté.
Presque une chantefable
Robert tire un alligator
Par les cheveux ; il a donc tort,
Car les alligators sont chauves.
Aussi l'alligator se sauve...
Il va manger l'aligot tard
Dans un troquet du Saint-Gothard.
C'est noté dans le Cahier Mauve,
Contresigné par l'aigle fauve,
Et publié dans ce recueil.
Robert, ne perds pas ton orgueil,
Nous aimons bien tes Chantefables ;
Alligator, chauve-souris,
Sardine, tortue et fourmi,
Tant d'animaux impérissables !
Coccinelles
La coccinelle rouge annonçait une fête,
Mais elle n'a point dit en quel temps, en quel lieu ;
La coccinelle jaune, un astre dans les cieux
Que trouveront nouveau le barde et le prophète ;
La compagnie en fut quelque peu stupéfaite :
La coccinelle orange, un insecte fort pieux,
A prédit du bonheur pour tous, jeunes et vieux,
Ou bien, au minimum, une journée parfaite.
La coccinelle rose a dit : « L'automne arrive
Et nous allons bientôt passer sur l'autre rive
Afin de profiter des beautés de l'hiver » .
La coccinelle mauve a dit : « Dans nos étreintes,
Nous ne nous sentons point tenues par la contrainte
De commenter la chose en composant des vers » .
Transmigration
Trois âmes ont volé par-dessus la colline :
L’une, vêtue de rouge, avec de grands yeux d’or,
L’autre, de jaune avec du sombre sur les bords,
La troisième d’orange aux nuances divines.
La première est partie dans la brise marine,
Vers l’ombre des grands bois. La deuxième est au bord
D’un canal où s’ébat la carpe aux reflets d’or.
La troisième fréquente une friche anodine.
Les grands bois, en novembre, ont encore des fleurs ;
L’âme rouge se mêle à leurs vives couleurs,
Sous le timide aspect d’un insecte ordinaire.
L’âme jaune et l’orange ont dansé dans le vent,
Ainsi commémorant leurs deux grands corps vivants ;
Mais le vent fait danser, aussi bien, la poussière.
Piaf-Tonnerre un matin rêvait
Piaf-Tonnerre un matin rêvait,
Un jour de brume ;
Au ciel, un corbeau dérivait,
Aux noires plumes.
Le corbeau se laissait flotter
Comme un nuage,
Voyant les humains barboter
Aux marécages.
Corbeau, corbeau, où sont les tiens,
Où sont tes frères ?
Es-tu donc un corbeau sans liens,
Un solitaire ?
Le corbeau n’a rien répondu,
Car c’était un corbeau tordu.
Ballus à la campagne
Voici le vieux Ballus marchant au pâturage
Où, le soir, ont dansé (peut-être) des lutins.
La prairie tout entière est ornée ce matin
De givre flamboyant aux couleurs de mirage.
Que vient chercher Ballus en ces humbles parages ?
Est-ce le souvenir d’un vieux Bénédictin
Qui lui avait appris sa prière en latin ?
Est-ce l’odeur qui monte après le labourage ?
La terre est en repos, car c’est bientôt l’hiver.
Très peu d’arbres au bois gardent un peu de vert,
Du ciel ont disparu les oiseaux de passage.
Si ce vieillard aime à folâtrer dans les champs,
C’est qu’à l’oisiveté son coeur a du penchant ;
Vous ne prendrez donc point ce Ballus pour un sage.
Homme de plume
Maître Gecko, trouvant un jour une lectrice,
L'installe dans son lit (car c'est bientôt l'hiver) ;
Le lendemain matin, ce barde, toujours vert,
Dédie un madrigal à son admiratrice.
Sa plume va tout droit, ne grince ni ne crisse,
Il nous dit l'essentiel au long de quelques vers :
L'amour, et les regrets qui en sont le revers,
Ce qu'il faut de douleur pour qu'une âme mûrisse.
Son amie par-dessus son épaule découvre
Les mots qu'il a tressés, les horizons qu'il ouvre ;
Ses battements de coeur aux rimes font écho.
Dans le petit matin, la frémissante muse
Médite, baignée par la lumière diffuse,
Ton séduisant pouvoir, ô plume du Gecko !
Quelques plaisirs
J’aime aller sur les blogs pour le plaisir de lire ;
J’aime narrer un conte, appris ou inventé ;
J’aime, en me promenant, découvrir la beauté ;
J’aime avoir des copains avec qui je peux rire.
J’aime féliciter, je n’aime pas médire ;
J’aime évoquer l’amour, la joie, la liberté ;
J’aime les vieux comptoirs et la fraternité ;
J’aime l’amusement, j’aime aussi le délire.
J’aime l’alexandrin, j’aime bien le sonnet,
J’aime ce que j’ignore et ce que je connais,
J’aime le vent qui passe, avec sa turbulence.
J’aime les beaux jardins, les librairies aussi ;
J’aime déambuler, j’aime rester assis,
J’aime entendre chanter, j’apprécie le silence.
Victor Hugo parle aux arbres
Victor Hugo explique aux arbres que son âme
(Dont il eut l’occasion de leur parler souvent)
N’est, pas plus que la source et pas plus que le vent,
Exposée au reproche, encore moins au blâme.
Dans la contemplation, son noble esprit se pâme,
Il observe une feuille au ruisseau dérivant,
Il se souvient d’avoir entendu, au couvent,
Le grégorien chanté par une voix de femme ;
Son coeur vers le cosmos à ces instants s’élance,
Il ne distingue plus la clameur du silence ;
Le sens de l’univers à ses yeux apparaît.
Il reste là, dans l’ombre et dans le noir mystère,
Tout debout dans le froid, puissant et solitaire,
Comme un arbre de plus dans la sombre forêt.
Robert voit une girafe
Robert, plaisantin, poète,
Fou du sud et fou de l'est,
Tu sais raconter les bêtes,
Fou du nord et fou de l'ouest.
Tu ne croyais pas au ciel,
Dieu du sud et dieu de l'est,
Mais à l'amour éternel,
Dieu du nord et dieu de l'ouest,
À la rose, à l'hirondelle,
Fleur du sud et fleur de l'est,
À la muse au coeur fidèle,
Fleur du nord et fleur de l'ouest,
À ton art de polygraphe,
Chant du sud et chant de l'est,
Applaudi par les girafes,
Chant du nord et chant de l'ouest.
Roi barbare
Un roi barbare a mis sa culotte à l’envers ;
Or, l’évêque qui fut son ministre et son pote
Ne craignit point de lui parler de sa culotte.
À l’endroit, dit le roi, je la remets, mon cher.
Le peuple qui fredonne à tort et à travers
A fait sienne, depuis, la chanson rigolote
Où l’on voit que ce roi n’avait rien d’un despote,
Même s’il possédait un grand sabre de fer.
Sa Majesté partait, pour chasser, dans la plaine,
Mais rentrait au palais, en sueur, hors d’haleine,
Ayant peur des lapins (et de bien d’autres choses).
Quand le diable lui dit « Tu mourras aujourd’hui »,
Il eût voulu qu’Eloi mourût au lieu de lui ;
L’histoire ne dit pas s’il obtint gain de cause.
Petit page
Son petit coeur battait très fort
(Le coeur d'un page de la reine) ;
Son petit coeur battait très fort
Quand, pour elle, il sonnait du cor.
Lorsqu'elle dormait comme un loir
(La plus paresseuse des reines),
Lorsqu'elle dormait comme un loir,
Il était gardien du boudoir.
Elle aimait dilapider l'or
(La plus dépensière des reines),
Elle aimait dilapider l'or,
Il regarnissait le trésor.
Or, Sainte Hélène aimait le roi
(Une rivale de la reine),
Oui, Sainte Hélène aimait le roi,
Mais la reine aimait Saint Eloi.
Reines et rois n'ont point de coeur,
Hélène, Eloi en ont à peine ;
Reines et rois n'ont point de coeur,
Car ce sont des êtres moqueurs.
Du page ils se riaient toujours,
Rire de roi, rire de reine,
Du page ils se riaient toujours ;
Car ses habits étaient trop courts.
Lune verte
Chaque homme à son prochain aimera faire un don,
Lorsque d'un astre vert les nuits seront hantées ;
La joie, la liberté seront partout chantées,
Les mauvais sentiments seront à l'abandon
Quand la lune sera verte.
Verte comme l'oiseau que l'on nomme verdier,
Verte comme le sont quelques forêts lointaines,
Ou comme une émeraude au collier de la reine,
Comme au front d'un grand homme un immortel laurier.
Quand la lune sera verte,
Verts seront les jardins de la fraternité,
Verts les tombeaux fleuris des villages de France,
Verts les petits lézards emplis de nonchalance ;
Nos jours seront tissés de plaisirs enchantés
Quand la lune sera verte.
Louise voit une flûte
Flûte de lune et de marraine,
Taureau de fer, fer et taureau,
Brume qui semble de la laine,
Rives de la Seine,
Moineaux.
Flûte aux humeurs trop passagères,
Secret que disent les roseaux,
Chansons qui parcourent la Terre,
Trame cellulaire,
Réseaux.
Flûte à la simple mise en scène,
Chanson que fredonne au boudoir,
Le page amoureux de la reine,
Trois paroles vaines,
Le soir.
Flûte aux mélodies chromatiques
Avec des saveurs de sorbet,
Flûte aux nostalgies folkloriques,
Beauté stylistique,
Sonnet.
Flûte alternant la nonchalance
Avec une extrême rigueur,
Flûte à la savante ordonnance,
Plateau de balance,
Danseur.
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