Sagesse du pluvian
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Ladysan
Cochonfucius
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Toile monochrome
Azur, tu sais, nous t’admirons de loin,
Par grand beau temps, sur la voûte éternelle ;
Mais bien aussi sous ta forme nouvelle,
Quand sur la toile on t’applique avec soin.
Les proportions, il faut les mettre au point,
Que le rectangle ait forme naturelle ;
Le cadre aussi, que l’artisan cisèle
Et qu’il ajuste à chacun de ses coins.
C’est pur, c’est bleu, c’est plus clair que de l’eau ;
C’est azur noble, et c’est azur nouveau,
C’est la couleur qui l’enthousiasme avive.
Grand honneur donc à celui qui l’a fait,
Impressionnant le peuple stupéfait :
Vous le savez, c’est Monseigneur Saint Yves.
Aux tavernières
Caroline et Leïla, derrière un vieux comptoir,
Incarnant la patience au fil de tous ces soirs,
J'ai voulu que vos noms figurent en ce livre
(Et vous me répondrez que ma plume est donc ivre).
Qu'elle le soit ou non, je vous célèbre ici :
Qui aime Valentin aime Bacchus, aussi,
Et même Gambrinus pour ce qui me concerne,
Ce dieu qui, chaque jour, louange vous décerne.
Leïla et Caroline, au nom des commensaux
Qui aux bonnes boissons chez vous donnent l'assaut,
Je déclare ceci, dans mes modestes rimes :
La taverne est pour nous le jardin de l'intime.
Valentin sous la terre
L’amour en inframonde, un désordre infini !
Une chimère adopte un petit cochon rose,
Des corps vont s’unissant pour de futiles causes,
La cigogne rencontre un dahut dans son nid.
Le lourd catoblépas arbore un bikini ;
Le léger colibri sur l’iguane se pose.
Nul arbitre, nul flic à cela ne s’oppose :
Sur ces cas, le juriste est assez démuni.
Les principaux démons siègent sur des gradins,
Contemplant ces ébats dans leur sombre jardin :
-- Il ne fait pas trop froid, notre lave est bien rouge !
Un rhapsode égaré se croit chez Dupanloup ;
-- Monseigneur, est-ce vous ? Votre visage est flou,
Il est mal éclairé, puis, tout le temps, il bouge.
鱼河 === Poisson et rivière
-- Poisson, vois-tu la rivière ?
-- Mais non, je ne la vois guère,
Et toi, peux-tu voir le vent ?
Peut-être pas très souvent.
-- Et le coeur de ton amante,
Poisson, entends-tu s'il chante ?
-- Cela dépend du courant ;
Car c'est un coeur murmurant.
-- Poisson, sans mains, comment est-ce,
Les échanges de caresses ?
-- Ah ! c'est d'autant plus subtil :
Un humain, qu'en saurait-il ?
鱼子 === Maître Yu
Je lisais, l’autre soir, un ouvrage insensé,
Bien propice au délire et à la rêverie :
Ça parlait d’un vieux sage errant par les prairies,
D’un grand maître chinois, d’un vieux fou du passé.
Il était amusant, sans nulle raillerie;
S’il voyait un baron, par son orgueil poussé,
Qui voulût en grandeur les autres dépasser,
Il feignait d’épouser sa folle songerie
De guerres, de châteaux et de combats sans lois ;
Puis il épiloguait, de sa plaisante voix,
Montrant la vanité d’une ambition frivole.
Le baron, bien souvent, reconnaissant au ciel,
En place d’un palais, faisait faire un autel,
Au grand soulagement des maçons bénévoles.
Roi de gueules
-- Chambellan, vois ici l’invisible qui luit !
-- Majesté, c’est plutôt la baignoire qui fuit.
-- Et cela, ce mystère ardent qui nous dépasse...
-- Ce n’est qu’un vieux mégot qu’on jeta dans l’espace.
-- Mais les quatre splendeurs de nos points cardinaux !
-- Non, c’est l’embranchement des chemins vicinaux.
-- Et cette courtisane, et son regard de braise !
-- Ah, mais c’est votre tante, un peu sucrant les fraises.
-- Et ce brillant chercheur, cet homme universel !
-- Non, c’est le Père Abbé, plongé dans son missel.
-- Et ce noble rimeur, à la solide étoffe...
-- Mais c’est votre bouffon, bricolant cette strophe.
Ramures
Fortes branches qui sont aux racines fidèles,
L'aède à vos beautés n'est pas indifférent ;
Ce n'est pas seulement que vos formes sont belles,
Mais pour le son de l'air en vos bras murmurant.
Car le vent a des mains. Tantôt dures, cruelles,
Tantôt pleines de grâce, il vous tient, il vous prend ;
Si la lune se plaint qu'il ne fait rien pour elle,
Il dit qu'il le fera quand il aura le temps.
L'arbre, ce bon danseur, n'est pas une statue ;
Le vent à l'animer tout un jour s'évertue,
Et pour chacun des deux, c'est le plus grand des biens.
Le vent qui peut éteindre ou grandir une flamme,
N'a-t-il donc pas aussi de pouvoir sur nos âmes ?
Car, pour les émouvoir, il ne faut presque rien.
Cavalier d'or et d'argent
Je te trouve dérangeant,
Cavalier d'or et d'argent :
On ne sait ce qui t'anime,
Dans quel but, à quoi ça rime.
C'est peut-être Charlemagne
Qui t'avait mis en campagne ;
À présent l'empereur dort,
Cavalier d'argent et d'or.
Ne danse plus dans la brume,
Tu pourrais perdre des plumes :
Le temps n'est plus aux combats,
Sors ta pipe et ton tabac.
Cavalier de gueules
Le rouge cavalier parcourt sans s’émouvoir
La verte plaine au fond des régions infernales,
Chevauchant Cinq-Sabots, monture peu banale,
Qui l’arrière et l’avant de son trajet peut voir.
On ne sait si c’est l’aube ou le début du soir ;
Un souffle frais, parfois, des falaises dévale,
Ressemblant à celui d’une verte cavale,
Ou d’un rhinocéros, ou d’un petit troll noir.
Ils vont, jour après jour, sans succès, sans déboires.
Tous deux ont oublié, fâcheux trou de mémoire,
Le but et le propos de leur expédition.
À l’auberge, il advient qu’au cheval on apporte
Un seau de bonne taille, empli de boisson forte ;
Le maître boit de l’eau, car il est en mission.
Animaux par douzaines
Les animaux chinois, bavardant sous les arbres,
Vivent par clans de douze, et nous comptons nos jours
Grâce à leur succession qu'on grave dans le marbre.
Cinq fois douze pour moi, ça fait déjà bien lourd.
Changement d'animal, les gens font un banquet,
Un an de moins, déjà, jusqu'au final naufrage ;
Un an de moins jusqu'à cette accueillante plage
Où se perd le nageur, où s'éteint son reflet.
Douze animaux chinois, la mesure du temps,
La vie qui nous sourit, la mort qui nous invite :
Leur chanson à deux voix, chacun de nous l'entend,
Craignant que le concert ne finisse trop vite.
Sagesse monastique
D’un lion de sable usurpant l’apparence,
Un sphinx visite un cloître, en plein hiver.
Piéger un moine et le mettre en enfer,
Tel est son voeu, telle est son espérance.
Il en trouve un, de ceux qui parfois pensent
À la beauté de ce grand Univers,
À la douceur que porte parfois l’air,
Aux belles voix qu’on entend à distance.
-- Moine, quittons ce palais de tourments ;
D’une vestale, en te faisant l’amant,
Tu gagneras les plaisirs les plus amples.
-- Sphinx, dit le moine, es-tu vraiment si fin ?
De ces biens-là, tu n’en as jamais faim :
Faible orateur, qui ne prêche d’exemple.
De gueules à un crocodile d'or
Sous la forte chaleur, le ciel ondoie,
Loin de la savane et de ses troupeaux,
Sur la rouge enseigne du grand tripot,
À un crocodile d'or, qui blondoie.
On ne le voit pas versant des sanglots,
Ni tel un plongeur qui dans l'eau s'enfonce ;
Bestiole héraldique à manger renonce,
Ainsi qu'à la douce fraîcheur des flots.
Mais ça lui va bien, ce grand nonchaloir,
L'immobilité d'une armure lisse,
Heureux qu'à côté de lui s'établisse
Messire pluvian, son faire-valoir.
Arbre-temps
C’est un Tigre, pour l’un, qui son parcours amorce ;
Un Lièvre pour un autre est le gardien du seuil,
Un modeste Rongeur, un Dragon plein d’orgueil ;
Douze beaux Animaux à la diverse force.
Tigre et Dragon n’ont pas de quoi bomber le torse,
Les Douze ont égal soin du berceau, du cercueil,
Des plaisirs de la vie, du nécessaire deuil.
Ils vivent dans un Arbre à l’éclatante écorce,
Qui grandit, loin de nous, sous un noir firmament ;
Nous n’avons pas accès à ce compartiment
De la réalité, ou alors, dans nos rêves.
À cette obscure voûte, un astre sombre luit :
De sa noire lumière enténébrant la nuit,
Il porte un joli nom : « Soleil de la Vie Brève ».
Éveil de la conscience
René Char apprécie la douceur féminine,
Ce n'est pas seulement qu'il en prend réconfort,
Mais c'est pour découvrir un sentiment plus fort,
L'éveil de la conscience en la nuit cristalline.
Est-ce toi, ce grillon chantant sous le grand arbre ?
La forêt retentit de ta note d'argent,
C'est un destin d'amour, sous nos yeux, se forgeant :
Quelques mots de René, qu'on grave dans le marbre.
Cher vieux clavier
Je me souviens d’avoir, par un matin limpide,
Noirci bien du papier par des propos divers
Qu’on aurait pu nommer des paroles en l’air,
Et que mon vieux clavier articulait, rapide.
Alternant le plus fin avec le plus stupide,
Les mots se succédaient à tort et à travers ;
Était-ce de la prose ? étaient-ce quelques vers ?
Je ne m’en souviens plus, c’était trop insipide.
Mais que j’étais heureux de ce sombre labeur !
Plus que n’est, à sa table, un prodigue flambeur
Qui, dans l’ardeur du jeu, dilapide ses rentes.
Merci donc, vieux clavier, organe jamais las,
Par qui notre discours est ainsi mis à plat ;
Par qui trouve un abri notre parole errante.
Parc à l'abandon
L’ermite, dans le clair matin
Se dirige vers un jardin
Que recouvre la gelée blanche,
N’épargnant pas même une branche.
Un empereur fantôme y dort,
Vêtu de la tunique d’or
Que lui offrit la douce reine
Au temps où chantait la sirène.
Grand parc où chantent les corbeaux,
De nos illusions le tombeau ;
Mais je n’en prends jamais ombrage :
Il y vient quelques fleurs sauvages.
Jardin pour les trépassés
Près de l'église, ils se tiennent
Au port de sérénité,
Les morts de notre cité,
Dont les tombes sont anciennes.
Loin des foules parisiennes,
Par de hauts murs abrités,
C'est là qu'ils vont habiter
Pour les décennies qui viennent.
Entre les dalles, la brise
Fait danser les tiges grises
D'un herbage citadin.
Pour ceux qui n'ont point de larmes,
Cet endroit n'est pas sans charmes :
Avant tout, c'est un jardin.
居其所 === Reste en place
Un dolmen, s’éveillant, soudain se montre agile :
Il extrait ses deux pieds de la profonde argile,
Promène autour de lui un farouche regard,
Calcule son élan, et s’enfuit à l’écart.
Il est bientôt rejoint par trois menhirs rebelles,
Sautillant à l’instar des joueurs de marelle ;
Fou qui s’opposerait à leur déplacement,
Sans doute, il périrait sous leur entassement.
Seule, une lourde stèle, immobile, impériale,
Conserve sa posture hautement mémoriale.
Une courte inscription suffit à l’entraver :
Trois mots de Confucius, qu’elle porte gravés.
Bloc de jade
La verte pyramide a l'air de contenir
Une momie de soie, occupée à se taire ;
D'ailleurs, nul n'entendrait son propos solitaire,
Car elle use de mots qu'on ne peut définir.
Ô coffre de sinople empli de souvenirs !
Ils sont la source vive où je me désaltère ;
Qu'importe que le sens en devienne mystère
Lorsqu'il vient, à minuit, à mes songes s'unir.
Volontiers l'on croirait, en étant misérable,
Que la pierre sera, pour le moins, secourable ;
Comme jadis, parfois, le regard d'une soeur.
Pyramide de jade, étonnant sortilège,
Qui sait si ton trésor s'alourdit ou s'allège ?
Inconnu comme il est, j'en aime la douceur.
Mer inconnue
Mer allant de dextre à senestre,
Un lourd vaisseau sur chaque bord ;
En terrasse, un chêne aux glands d’or,
Mais aucun animal sylvestre.
Dextre porte un bélier d’argent,
Senestre un coq, au naturel ;
D’argent aussi, le vaste ciel,
La mer est d’un azur changeant.
Lorsque les glands tombent de l’arbre,
Les animaux en ont leur part :
Le bélier sur ses deux panards,
Le coq sur sa colonne en marbre.
Le Dragon et le Crapaud
Un Dragon, échappant à tant de fines lames,
Arpentait la campagne en toute liberté.
Face aux fiers chevaliers, il savait s'occulter ;
Il se voulait prudent, ce dont nul ne le blâme.
Car si, au long des jours, l'on est persécuté,
Cette ciconspection s'installe au fond de l'âme ;
On vit à petit feu, parfois même sans flamme,
On devient très obscur, c'est la nécessité.
Notre Dragon jamais ne remettait sa vie
Entre les mains d'un tiers ; il n'avait nulle envie
Qu'on le mît en morceaux dans le fond d'un tripot.
Un détail, toutefois, (ô remarque futile !) :
Pas plus gros qu'un lombric n'était notre Reptile,
Juste de quoi remplir le ventre d'un Crapaud.
De sinople à un paon d'argent
Voici le paon d'argent, cherchant amours nouvelles
Auprès de la rivière aux étoiles d'azur.
Sur son fier cheval d'or, il longera le mur
Qui borde le jardin des compagnes fidèles ;
Il contera fleurette à quelques poules d'or
Que, peu sévèrement, surveille une chevrette ;
Les poules le suivront, parmi les pâquerettes,
Au travers du verger où plus d'un arbre dort.
C'est le début du conte ; après, ça devient flou ;
Peut-être un loup de sable, en sortant des broussailles
Voudra-t-il pourchasser l'innocente volaille.
Une voix l'avertit : « Méfie-toi du paon, loup ! »
Basilique de Piaf-Tonnerre
Sur un nuage blanc, plus haut que toute cime,
Est un clair sanctuaire, au modeste extérieur :
On n’y voit point d’abbé, ni même de prieur,
Mais parfois un farceur qui joue avec des rimes.
Le maître du nuage, ange sérénissime,
A loué Piaf-Tonnerre, excellent ingénieur,
De sa construction faite aux niveaux supérieurs :
Car un tel édifice est, c’est vrai, rarissime.
Le visitent surtout les animaux volants,
Rattrapant le nuage au parcours indolent ;
On leur sert un godet d’une liqueur sublime.
Tantôt les vents du sud et tantôt ceux du nord
Poussent l’installation dans le jour qui s’endort,
En survolant parfois les confins maritimes.
Lunes
Les lunes du passé dormant dans les ténèbres,
Ayant ainsi perdu l'étreinte du soleil,
Ne refléteront plus son éclat nonpareil ;
Bien froid est leur silence, au fond des cieux funèbres.
Lunes de l'avenir, qui pourrait vous décrire ?
Vous avez pour couleur l'invisibilité,
Nul ne vous voit planer par-dessus nos cités,
Lunes de l'avenir, nous n'en pouvons rien dire.
La lune du présent suffit à mon bonheur.
Sa discrétion du jour et sa splendeur nocturne,
Son lever, son coucher, sa danse avec Saturne
Me font aimer beaucoup cet astre promeneur.
D’or à un griffon de gueules
L’air est d’or. Le griffon de gueules se promène
En proposant son coeur aux ondines des puits.
Celle qui en voudrait, fût-ce pour une nuit,
Serait sur cette terre une vraie souveraine.
Or, son offre n’attire ondine ni sirène ;
L’une, même, se moque en l’appelant « Trop cuit »,
Une autre a beaucoup ri, une troisième a fui.
Le griffon va, portant son grand coeur, et sa peine.
Ce n’est pas aujourd’hui que, pleine de tendresse,
Une amante viendra l’instruire de caresses ;
Dans son corps, il devra réinstaller son coeur.
L’ornithorynque rose a rejoint son compère
Et dit « J’ai le remède à cela, je l’espère :
Ce sont quelques flacons d’une douce liqueur. »
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