Roman (bis)
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Roman (bis)
Bonjour,
Je suis de nouveau embarqué dans l'écriture d'un roman. Ci-après l'extrait (plusieurs pages d'ailleurs) qui donne le ton. Le narrateur, cadre au chômage, répond à un entretien en tête-à-tête pour une place de directeur du personnel. Il se croit accepté par le patron, mais non... suite :
— Qu'est-ce qui te prend ? Tu n'imaginais quand même pas que tu avais le profil ? Même comme chef du personnel, et d'une boîte trois fois plus petite, tu ne ferais pas le poids !
Aurais-je affaire à un manipulateur, à un spécialiste de la douche écossaise ? Dans ce cas, il ne sait pas encore que j'en ai vu d'autres, à commencer par ma femme. Les yeux dans les yeux, je réponds du tac au tac :
— Peut-être, mais alors qu'attendez-vous de moi ? Pourquoi m'avoir retenu ? Avez-vous une place à me proposer ?
— Dans cette entreprise, non.
— Alors à quoi bon ?
— Cette entreprise, c'est déjà le passé pour moi. Toi, tu es l'avenir...
— Vous envisagez de créer une autre société ?
— Non... en tout cas pas au sens où on l'entend d'ordinaire. Moi non plus, je n'ai pas le profil, je te l'ai déjà dit. Mais si Dieu m'a permis, ou plutôt contraint, de diriger celle-ci, c'était pour me préparer à tout autre chose. Voyons mon petit Pierre, qu'est-ce que Dieu peut demander de plus important à un homme ?
— D'entrer en religion ??
— Le mot religion est juste, mais le verbe entrer ne l'est pas. Il implique, sauf erreur de ma part, que cette religion existe déjà.
— Vous voulez fonder une religion ??
— Tu comprends vite, c'est bon signe. Ce n'est pas moi qui veux la fonder, je m'en passerais bien ! C'est Lui qui exige ça de moi !
— Et moi alors, dans tout ça ??
— Il se trouve que... je t'ai reconnu...
Tourbillon dans ma tête. C'était donc tout simplement cela, il me connaissait, même s'il n'avait pas retenu ou pas su mon nom puisqu'il a dû le lire sur le CV. Mais je ne suis pas sorti des bizarreries. Je réponds naturellement :
— Excusez-moi, je ne me souviens pas de vous avoir rencontré...
— C'aurait été trop beau ! C'aurait été tenter Dieu que de le demander ! Il suffit bien que moi je te reconnaisse...
— Je ne comprends vraiment pas...
— Disons qu'un certain nombre de signes font que je t'ai reconnu entre tous. Cela fait des années que je t'attends. Ton visage m'est plus familier que celui de ma mère, tellement je t'ai vu en rêve, en des dizaines de rêves !
Il a donc rêvé de moi. Et il en remet.
— Même cette verrue que je vois sur ta main, je la connaissais, avant même sans doute qu'elle n'apparaisse... et si je te disais toutes les coïncidences, tous les petits clins d'œil de la volonté suprême...
— Enfin je n'y connais rien ! Mes parents m'ont fait baptiser, mais plutôt par inadvertance... la religion, ça ne m'a jamais attiré, je n'y comprends strictement rien !
— Justement : tu n'as pas l'esprit encombré par les préjugés, détritus et archives d'une religion dépassée. Car elles le sont toutes, dépassées, c'est la nôtre qui sauvera le monde, s'il peut encore être sauvé...
— Ecoutez, mon objectif prioritaire en ce moment, c'est de retrouver un emploi pour nourrir ma famille...
— Je compte bien te payer !
Quoi dire ? Je me tais, accablé, en me demandant si je ne ferais pas mieux de m'enfuir tout de suite. D'autant que midi est passé et que je commence à avoir faim. Je me dirige vers la porte. Il crie :
— Mais où vas-tu ?
— Ecoutez, il est possible que tout ceci ne soit qu'une comédie pour savoir ce que j'ai dans la tête et dans le ventre, une façon un peu tordue de recruter. Et pas plus idiote après tout que de scruter mon thème astral ou de me faire admirer les sempiternelles taches d'encre du test de Rorschach, où tout le monde sait ce qu'il faut voir et ne pas voir. Mais à présent, si vous ne me dites pas clairement ce que vous avez à me proposer, je m'en vais !
— Ce que j'ai à te proposer, je viens de te le dire. Et il peut m'arriver de plaisanter ou de ruser, mais jamais avec ça ! Ce serait un blasphème !
Il devient presque suppliant... moi aussi d'ailleurs, je suis tenté de le supplier d'abandonner cette comédie, ce délire... j'arrive à articuler :
— Mais enfin...
— Ton prénom n'est-il pas déjà un signe ? « Tu es Pierre et sur cette pierre... » Et je vois que tu as été attaché de presse. Quoi de plus utile pour répandre un message ?
— Attaché de presse... ce n'est pas ce que j'ai réussi le mieux dans ma carrière...
Je n'exagère pas. Mon passage dans cet honorable métier n'a duré que quelques semaines. Il est vrai que ma patronne d'alors était une redoutable manipulatrice, j’y suis voué ou je les reconnais mieux que les autres. Il est vrai également que la communication est le domaine par excellence qui attire les manipulateurs et manipulatrices. Mais lui, manipulateur ou pas, s'accroche :
— Justement ! Quand Dieu veut te faire progresser, Il te fait casser la gueule ! Et Il t'a rendu humble, c'est très bon signe !
— Tous ceux qui se cassent la gueule ne fondent pas de religion !
— Mais tous ceux qui fondent des religions se sont cassé la gueule un jour. Encore un signe que c'est bien toi, tu résistes !
— Qu'est-ce que vous voulez dire par là ??
Je suffoque, mais lui reste imperturbable, et il croise les mains sur son ventre, ce qui annonce, je le comprends de suite, un long discours.
— Regarde le Prophète Mahomet. Le premier message de l'Ange Gabriel lui tombe dessus, et qu'est-ce qu'il fait ? Il se croit devenu fou, il veut se tuer ! Et c'est l'Ange Gabriel qui l'en empêche ! Et après, longtemps après, de nombreux messages après, quand il s'est enfin résigné à prêcher, il ne l'a d'abord fait qu'en privé, le plus discrètement possible. C'est Omar qui l'a pratiquement obligé à parler en public.
À nouveau un doute m'effleure, qui me renvoie à mes doutes précédents : et s'il était sincère ? Si ce n'était pas seulement un test pour juger ma capacité à réagir ? Là, il lit une autre question quelque part sur ma figure, et il s'empresse d'y répondre :
— Si je suis musulman ? Au sens étymologique, qui obéit à Dieu, certainement, en tout cas j’essaie... mais c'est tout.
Je m'interrogeais plus sur sa santé mentale que sur son éventuelle religion. Mais je ne peux que le laisser continuer :
— Et Moïse aussi a résisté, devant le buisson ardent. Lui, plus malin, il a essayé de trouver une excuse. Il se plaignait d'avoir la langue « embarrassée », et il a négocié, négocié avec Dieu, et il a même obtenu une concession, une concession de Dieu ! Ce serait son frère, Aaron, qui parlerait au peuple. Mais je ne suis pas juif. Et Bouddha aussi, après avoir enfin atteint l'illumination suprême sous son figuier, a d'abord voulu la garder pour lui. Le chemin qu'il venait de suivre était tellement dur, tellement déconcertant aussi, aucun autre ne pourrait l'emprunter. Avec lui, Dieu a rusé, ne lui a demandé que le petit doigt. Il l'a d'abord convaincu d'aller au moins causer avec cinq de ses anciens copains. Ceux-là pensaient toujours, les malheureux, que les mortifications, flagellations et privations qu'ils s'infligeaient les conduiraient au But. Le futur Bouddha l'avait cru avec eux, et il était sur le point de crever de faim quand il avait craqué pour je ne sais plus quelle friandise que lui tendait une bergère dont le nom m’échappe. Les cinq autres l'avaient aussitôt rejeté avec mépris. Mais il ne leur en voulait pas, et il a bien voulu aller leur expliquer que si le plaisir conduit à la souffrance, la souffrance ne conduit pas pour autant à la libération, qu'il faut un juste milieu. Et à sa grande surprise, les cinq ont été convaincus, et ils ont voulu l'accompagner. Et lui n'avait pas le cœur à les rejeter, ni à rejeter tous ceux, par dizaines puis par milliers, qui ont voulu se joindre à son groupe de moines. Alors il s'est résigné à inventer pour eux un nouveau système. Et puis il a dû aussi s'occuper des gens mariés qui lui demandaient des tuyaux, savoir comment on peut ne pas rechercher les plaisirs mais ne pas les fuir non plus. Bref, il a fait sa religion sans s'en rendre compte, piégé ! Mais je ne suis pas bouddhiste. D'ailleurs ça ne veut rien dire, bouddhiste, il y a des dizaines de doctrines différentes qui revendiquent le nom de Bouddhisme, et qui n'ont à peu près rien de commun entre elles. Et Lao-Tseu aussi a résisté, et il a carrément fui le pays. Et c'est le douanier de service qui l'a obligé à déclarer sa doctrine avant de passer la frontière à tout jamais. Mais je ne suis pas taoïste. Et moi aussi j'ai résisté ! Je ne te raconterai pas comment j'ai fait, comment je me suis enfui, et comment Dieu m'a retrouvé... et Il n'a pas toujours eu la main douce, crois-moi !
Décidé à jouer le jeu jusqu'au bout, je demande encore, aussi tranquillement qu'il m'est possible :
— Et quelle est la doctrine ?
— Mais justement... c'est à toi de la fixer, et j'exige des résultats !
— Mais je ne sais même pas à quoi peut bien servir une religion...
— Je vais te raconter une histoire on ne peut plus authentique. Elle se passe en URSS, quand elle existait encore, quand le communisme y était tout puissant et l'athéisme de rigueur. Les dirigeants d'une certaine région étaient plongés dans la perplexité. On avait enquêté sur deux villages voisins. Dans le premier, les gens étaient sales, ivrognes, bagarreurs, vicieux, délinquants, aigris et j'en passe. Le plus grave était qu'ils n'atteignaient pas les sacro-saintes normes du Plan, donc qu'ils ne remplissaient pas leurs devoirs envers la société. Dans le deuxième, au contraire, les habitants étaient sobres, honnêtes, joyeux, doux, et travailleurs : ils dépassaient les normes du Plan ! Or les seconds n'étaient pas plus communistes que les premiers. Au contraire, ils s'étaient massivement convertis à je ne sais plus quelle secte baptiste. Voilà à quoi sert une religion ! Voilà pourquoi ton devoir est de constituer celle qui va sauver le monde, s'il peut encore l'être...
à+
Je suis de nouveau embarqué dans l'écriture d'un roman. Ci-après l'extrait (plusieurs pages d'ailleurs) qui donne le ton. Le narrateur, cadre au chômage, répond à un entretien en tête-à-tête pour une place de directeur du personnel. Il se croit accepté par le patron, mais non... suite :
— Qu'est-ce qui te prend ? Tu n'imaginais quand même pas que tu avais le profil ? Même comme chef du personnel, et d'une boîte trois fois plus petite, tu ne ferais pas le poids !
Aurais-je affaire à un manipulateur, à un spécialiste de la douche écossaise ? Dans ce cas, il ne sait pas encore que j'en ai vu d'autres, à commencer par ma femme. Les yeux dans les yeux, je réponds du tac au tac :
— Peut-être, mais alors qu'attendez-vous de moi ? Pourquoi m'avoir retenu ? Avez-vous une place à me proposer ?
— Dans cette entreprise, non.
— Alors à quoi bon ?
— Cette entreprise, c'est déjà le passé pour moi. Toi, tu es l'avenir...
— Vous envisagez de créer une autre société ?
— Non... en tout cas pas au sens où on l'entend d'ordinaire. Moi non plus, je n'ai pas le profil, je te l'ai déjà dit. Mais si Dieu m'a permis, ou plutôt contraint, de diriger celle-ci, c'était pour me préparer à tout autre chose. Voyons mon petit Pierre, qu'est-ce que Dieu peut demander de plus important à un homme ?
— D'entrer en religion ??
— Le mot religion est juste, mais le verbe entrer ne l'est pas. Il implique, sauf erreur de ma part, que cette religion existe déjà.
— Vous voulez fonder une religion ??
— Tu comprends vite, c'est bon signe. Ce n'est pas moi qui veux la fonder, je m'en passerais bien ! C'est Lui qui exige ça de moi !
— Et moi alors, dans tout ça ??
— Il se trouve que... je t'ai reconnu...
Tourbillon dans ma tête. C'était donc tout simplement cela, il me connaissait, même s'il n'avait pas retenu ou pas su mon nom puisqu'il a dû le lire sur le CV. Mais je ne suis pas sorti des bizarreries. Je réponds naturellement :
— Excusez-moi, je ne me souviens pas de vous avoir rencontré...
— C'aurait été trop beau ! C'aurait été tenter Dieu que de le demander ! Il suffit bien que moi je te reconnaisse...
— Je ne comprends vraiment pas...
— Disons qu'un certain nombre de signes font que je t'ai reconnu entre tous. Cela fait des années que je t'attends. Ton visage m'est plus familier que celui de ma mère, tellement je t'ai vu en rêve, en des dizaines de rêves !
Il a donc rêvé de moi. Et il en remet.
— Même cette verrue que je vois sur ta main, je la connaissais, avant même sans doute qu'elle n'apparaisse... et si je te disais toutes les coïncidences, tous les petits clins d'œil de la volonté suprême...
— Enfin je n'y connais rien ! Mes parents m'ont fait baptiser, mais plutôt par inadvertance... la religion, ça ne m'a jamais attiré, je n'y comprends strictement rien !
— Justement : tu n'as pas l'esprit encombré par les préjugés, détritus et archives d'une religion dépassée. Car elles le sont toutes, dépassées, c'est la nôtre qui sauvera le monde, s'il peut encore être sauvé...
— Ecoutez, mon objectif prioritaire en ce moment, c'est de retrouver un emploi pour nourrir ma famille...
— Je compte bien te payer !
Quoi dire ? Je me tais, accablé, en me demandant si je ne ferais pas mieux de m'enfuir tout de suite. D'autant que midi est passé et que je commence à avoir faim. Je me dirige vers la porte. Il crie :
— Mais où vas-tu ?
— Ecoutez, il est possible que tout ceci ne soit qu'une comédie pour savoir ce que j'ai dans la tête et dans le ventre, une façon un peu tordue de recruter. Et pas plus idiote après tout que de scruter mon thème astral ou de me faire admirer les sempiternelles taches d'encre du test de Rorschach, où tout le monde sait ce qu'il faut voir et ne pas voir. Mais à présent, si vous ne me dites pas clairement ce que vous avez à me proposer, je m'en vais !
— Ce que j'ai à te proposer, je viens de te le dire. Et il peut m'arriver de plaisanter ou de ruser, mais jamais avec ça ! Ce serait un blasphème !
Il devient presque suppliant... moi aussi d'ailleurs, je suis tenté de le supplier d'abandonner cette comédie, ce délire... j'arrive à articuler :
— Mais enfin...
— Ton prénom n'est-il pas déjà un signe ? « Tu es Pierre et sur cette pierre... » Et je vois que tu as été attaché de presse. Quoi de plus utile pour répandre un message ?
— Attaché de presse... ce n'est pas ce que j'ai réussi le mieux dans ma carrière...
Je n'exagère pas. Mon passage dans cet honorable métier n'a duré que quelques semaines. Il est vrai que ma patronne d'alors était une redoutable manipulatrice, j’y suis voué ou je les reconnais mieux que les autres. Il est vrai également que la communication est le domaine par excellence qui attire les manipulateurs et manipulatrices. Mais lui, manipulateur ou pas, s'accroche :
— Justement ! Quand Dieu veut te faire progresser, Il te fait casser la gueule ! Et Il t'a rendu humble, c'est très bon signe !
— Tous ceux qui se cassent la gueule ne fondent pas de religion !
— Mais tous ceux qui fondent des religions se sont cassé la gueule un jour. Encore un signe que c'est bien toi, tu résistes !
— Qu'est-ce que vous voulez dire par là ??
Je suffoque, mais lui reste imperturbable, et il croise les mains sur son ventre, ce qui annonce, je le comprends de suite, un long discours.
— Regarde le Prophète Mahomet. Le premier message de l'Ange Gabriel lui tombe dessus, et qu'est-ce qu'il fait ? Il se croit devenu fou, il veut se tuer ! Et c'est l'Ange Gabriel qui l'en empêche ! Et après, longtemps après, de nombreux messages après, quand il s'est enfin résigné à prêcher, il ne l'a d'abord fait qu'en privé, le plus discrètement possible. C'est Omar qui l'a pratiquement obligé à parler en public.
À nouveau un doute m'effleure, qui me renvoie à mes doutes précédents : et s'il était sincère ? Si ce n'était pas seulement un test pour juger ma capacité à réagir ? Là, il lit une autre question quelque part sur ma figure, et il s'empresse d'y répondre :
— Si je suis musulman ? Au sens étymologique, qui obéit à Dieu, certainement, en tout cas j’essaie... mais c'est tout.
Je m'interrogeais plus sur sa santé mentale que sur son éventuelle religion. Mais je ne peux que le laisser continuer :
— Et Moïse aussi a résisté, devant le buisson ardent. Lui, plus malin, il a essayé de trouver une excuse. Il se plaignait d'avoir la langue « embarrassée », et il a négocié, négocié avec Dieu, et il a même obtenu une concession, une concession de Dieu ! Ce serait son frère, Aaron, qui parlerait au peuple. Mais je ne suis pas juif. Et Bouddha aussi, après avoir enfin atteint l'illumination suprême sous son figuier, a d'abord voulu la garder pour lui. Le chemin qu'il venait de suivre était tellement dur, tellement déconcertant aussi, aucun autre ne pourrait l'emprunter. Avec lui, Dieu a rusé, ne lui a demandé que le petit doigt. Il l'a d'abord convaincu d'aller au moins causer avec cinq de ses anciens copains. Ceux-là pensaient toujours, les malheureux, que les mortifications, flagellations et privations qu'ils s'infligeaient les conduiraient au But. Le futur Bouddha l'avait cru avec eux, et il était sur le point de crever de faim quand il avait craqué pour je ne sais plus quelle friandise que lui tendait une bergère dont le nom m’échappe. Les cinq autres l'avaient aussitôt rejeté avec mépris. Mais il ne leur en voulait pas, et il a bien voulu aller leur expliquer que si le plaisir conduit à la souffrance, la souffrance ne conduit pas pour autant à la libération, qu'il faut un juste milieu. Et à sa grande surprise, les cinq ont été convaincus, et ils ont voulu l'accompagner. Et lui n'avait pas le cœur à les rejeter, ni à rejeter tous ceux, par dizaines puis par milliers, qui ont voulu se joindre à son groupe de moines. Alors il s'est résigné à inventer pour eux un nouveau système. Et puis il a dû aussi s'occuper des gens mariés qui lui demandaient des tuyaux, savoir comment on peut ne pas rechercher les plaisirs mais ne pas les fuir non plus. Bref, il a fait sa religion sans s'en rendre compte, piégé ! Mais je ne suis pas bouddhiste. D'ailleurs ça ne veut rien dire, bouddhiste, il y a des dizaines de doctrines différentes qui revendiquent le nom de Bouddhisme, et qui n'ont à peu près rien de commun entre elles. Et Lao-Tseu aussi a résisté, et il a carrément fui le pays. Et c'est le douanier de service qui l'a obligé à déclarer sa doctrine avant de passer la frontière à tout jamais. Mais je ne suis pas taoïste. Et moi aussi j'ai résisté ! Je ne te raconterai pas comment j'ai fait, comment je me suis enfui, et comment Dieu m'a retrouvé... et Il n'a pas toujours eu la main douce, crois-moi !
Décidé à jouer le jeu jusqu'au bout, je demande encore, aussi tranquillement qu'il m'est possible :
— Et quelle est la doctrine ?
— Mais justement... c'est à toi de la fixer, et j'exige des résultats !
— Mais je ne sais même pas à quoi peut bien servir une religion...
— Je vais te raconter une histoire on ne peut plus authentique. Elle se passe en URSS, quand elle existait encore, quand le communisme y était tout puissant et l'athéisme de rigueur. Les dirigeants d'une certaine région étaient plongés dans la perplexité. On avait enquêté sur deux villages voisins. Dans le premier, les gens étaient sales, ivrognes, bagarreurs, vicieux, délinquants, aigris et j'en passe. Le plus grave était qu'ils n'atteignaient pas les sacro-saintes normes du Plan, donc qu'ils ne remplissaient pas leurs devoirs envers la société. Dans le deuxième, au contraire, les habitants étaient sobres, honnêtes, joyeux, doux, et travailleurs : ils dépassaient les normes du Plan ! Or les seconds n'étaient pas plus communistes que les premiers. Au contraire, ils s'étaient massivement convertis à je ne sais plus quelle secte baptiste. Voilà à quoi sert une religion ! Voilà pourquoi ton devoir est de constituer celle qui va sauver le monde, s'il peut encore l'être...
à+
_Spin- Seigneur de la Métaphysique
- Nombre de messages : 9506
Date d'inscription : 23/03/2008
Re: Roman (bis)
C'est alléchant.... mais je me demande si tu vas t'en sortir avec la suite. Comme pour " Les illusions", il n'y aura sans doute pas de réponse, ce qui d'ailleurs est très bien, car la vie, c'est de s'interroger, pas de répondre, du moins pas définitivement.
Heureusement que je viens d'écrire " pas définitivement", car sinon, mon affirmation serait une réponse définitive qui s'annulerait elle-même.
Heureusement que je viens d'écrire " pas définitivement", car sinon, mon affirmation serait une réponse définitive qui s'annulerait elle-même.
Geveil- Akafer
- Nombre de messages : 8776
Localisation : Auvergne
Identité métaphysique : universelle
Humeur : changeante
Date d'inscription : 18/05/2008
Re: Roman (bis)
J'en suis à la lecture du premier, qui se dévore très agréablement, et je reconnais déjà le style, essentiellement axé sur le dialogue.
Invité- Invité
Re: Roman (bis)
j'aime bien les idées qui s'entrechoquent . Moins l'artifice du roman philosophique , mais c'est personnel: j'ai du mal avec le roman .
Cela dit, il y a du fond, dès le départ et on a envie de savoir comment ça va évoluer .La forme télévisuelle serait adaptée au style, en mariant le burlesque avec la profondeur .
Cela dit, il y a du fond, dès le départ et on a envie de savoir comment ça va évoluer .La forme télévisuelle serait adaptée au style, en mariant le burlesque avec la profondeur .
JO- Seigneur de la Métaphysique
- Nombre de messages : 22786
Localisation : france du sud
Identité métaphysique : ailleurs
Humeur : paisiblement réactive
Date d'inscription : 23/08/2009
Re: Roman (bis)
Bonjour,
Merci pour les commentaires, allez, ça n'engage à rien, un autre pavé. Explication sommaire, notre héros pas encore embauché croit pouvoir consulter le premier psychiatre dont la plaque se présente pour parler de ce drôle de patron. Cet homme de l'art lui fait comprendre que cela ne se fait pas comme ça, de consulter pour autrui.
Suite si on le mérite
à+
Merci pour les commentaires, allez, ça n'engage à rien, un autre pavé. Explication sommaire, notre héros pas encore embauché croit pouvoir consulter le premier psychiatre dont la plaque se présente pour parler de ce drôle de patron. Cet homme de l'art lui fait comprendre que cela ne se fait pas comme ça, de consulter pour autrui.
- Spoiler:
- C'est évidemment une façon de se débarrasser de moi, il a épuisé sa dernière réserve de bonne volonté. Alors, inspiration subite qui m'effraye moi-même, je lance :
— Je vous ai menti... en fait c'est moi qui me sens appelé à fonder une religion !
Il me regarde avec des yeux ronds, mais manifestement, il gobe. Et il me fait peur. Plus encore qu'avec le patron je suis sur le point de m'enfuir. Jamais de ma vie je n'ai autant eu l'impression d'être regardé comme une proie, et pourtant j'ai eu mon compte de prédateurs et plus encore de prédatrices. Mais qu'est-ce qui m'a pris ??
— Une religion, comme ça, à partir de zéro, vous ?
— Je n'ai pas la gueule de l'emploi, hein ?
— Comment voulez-vous que je le sache ? Encore une fois, je n'ai pas de référence en la matière. Je peux seulement donner un avis, qui vaut ce qu'il vaut. Il me semble... voyons... que certaines caractéristiques psychologiques, jugées ennuyeuses pour le commun des mortels, seraient bien utiles pour votre entreprise. Enfin, à dose modérée...
Il hésite, comme s'il cherchait mon point faible, puis il attaque :
— Il serait bon, d'abord, que vous soyez paranoïaque...
Je connais le mot, il m'arrive de le jeter à autrui, ou de le recevoir moi-même. C'est un mot qui circule beaucoup, qui se glisse partout malgré ses quatre lourdes syllabes. Mais c'est le genre de terme qui s'écarte vite du sens que lui ont donné les initiés, et j'ai en face de moi un initié. Je demande :
— Pourquoi paranoïaque ?
— Voyons ! C'est la paranoïa qui décide, et qui ensuite proclame à la face du monde : Voici le Bien ! Voici le Mal ! Voici ce qui arrive à qui fait le Bien ! Voici ce qui arrive à qui fait le Mal ! Et qui le maintient contre vents et marées, contre tous les adversaires, tous les railleurs, tous les hésitants, et aussi contre toutes les apparences contraires. Et puis il n'y a pas plus efficace ni plus dynamique qu'un paranoïaque. Ne pas se poser de questions sur soi, ou plutôt avoir des réponses toutes faites, indéboulonnables, ça économise beaucoup d'énergie...
— Bon, je vois... il m'arrive assez souvent de piquer des colères vraiment idiotes, surtout en ce moment ; c'est un bon signe, non ?
Mais il me retourne un regard terrible, fureur mêlée d'une pitié méprisante.
— Zéro pour la question. Les paranoïaques piquent des colères... et encore pas toujours, pas tous, ce n'est pas aussi simple... mais jamais ils ne les qualifieront spontanément d'idiotes, voyons !
— Eh bien, tant pis...
— Ne nous décourageons pas. Ces colères idiotes peuvent relever par contre de l'hystérie. Parce que l'hystérie, elle, sait reconnaître ses torts et ses tares, pour peu que ça l'arrange de les reconnaître. Et elle est aussi bien utile. C'est la bonne grosse manipulation des sentiments, l'éloquence, les larmes, le petit Jésus couché sur la paille entre le bœuf et l'âne. Les hystériques sont plus sensibles et vulnérables que les autres au regard et au jugement d'autrui, et donc ils ont davantage besoin, pour se défendre, d'influencer et de manipuler. Et comme ils ne sont pas plus bêtes que les autres, ils y parviennent. Et puis il n'y a pas plus sociable que les hystériques. Avec eux, on se sent écouté, accueilli, considéré. Du moins tant qu'on n'entre pas dans leur entourage trop intime, tant qu'on ne vit pas avec, parce qu'alors ce n'est plus aussi simple. Mais ce n'est pas un problème pour votre but.
Il me soupèse encore. Désagréable. Verdict :
— Désolé, vous êtes vraiment trop introverti pour un hystérique...
— Tant pis.
— Mais ne nous décourageons pas. L'introversion prédispose par contre à la névrose obsessionnelle, qui ne manque pas d'attraits elle non plus. Elle est même essentielle. L'obsessionnel, c'est celui qui définit, pour lui-même et pourquoi pas pour les autres, les rites, combien de pas, d'invocations, de génuflexions, de prosternations, et plus généralement ce qu'il faut penser et ce qu'il ne faut pas penser.
— Et on le reconnaît à quoi ?
— Voyons, ne vous arrive-t-il pas, un peu trop souvent, de vous laisser bêtement obnubiler par une idée qui ne vous sert à rien, et qui néanmoins refuse absolument de se laisser chasser, et qui vous empoisonne la vie ?
— Heu... pas plus qu'un autre, je crois.
— Et puis une tendance à la procrastination ?
— À quoi ??
— À remettre toujours à demain...
— J'aurais plutôt tendance, en ce moment, à remettre à tout jamais. Je me sens vidé, sans ressort.
— Vous n'y mettez pas beaucoup du vôtre. Il ne reste plus guère de possibilités. Essayons tout de même, le délire, l'hallucination, la schizophrénie. On va directement chercher les instructions au septième ciel, et tant pis pour la basse réalité du commun des mortels. Mais... non, décidément, rien à faire. Bien sûr, si demain vous rencontrez l'ange Gabriel aux commandes d'une soucoupe volante, il faudra reconsidérer la question. Mais franchement, rien ne permet de l’espérer...
Suite si on le mérite
à+
Dernière édition par Spin le Ven 6 Nov 2009 - 10:32, édité 1 fois
_Spin- Seigneur de la Métaphysique
- Nombre de messages : 9506
Date d'inscription : 23/03/2008
Re: Roman (bis)
j'aime bien ... ça te ressemble ?
JO- Seigneur de la Métaphysique
- Nombre de messages : 22786
Localisation : france du sud
Identité métaphysique : ailleurs
Humeur : paisiblement réactive
Date d'inscription : 23/08/2009
Re: Roman (bis)
Bonjour,
à+
Merci, mais, heu... quoi ?JO a écrit:j'aime bien ... ça te ressemble ?
à+
_Spin- Seigneur de la Métaphysique
- Nombre de messages : 9506
Date d'inscription : 23/03/2008
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