Sagesse du pluvian
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mikael
Cochonfucius
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Marcheur anonyme
Le vagabond sans nom traverse un temps d’orage,
Il sait qu’un inconfort n’est pas une douleur,
Il sait que les ennuis ne sont pas des malheurs,
Que même par ce temps, le ciel n’a point de rage.
De plusieurs lointains lacs, il connaît les rivages,
Où l’eau prenait parfois de splendides couleurs ;
Le chemins ont leur loi, les grands lacs ont la leur,
Ce sont des vérités qu’on reçoit sans tapage.
Devant un contretemps, ce vieux routard, au lieu
D’imaginer soudain la malice d’un dieu,
Garde le plus grand calme et commence une enquête.
La sagesse précaire, elle est là, dans ses yeux
Dont parfois je saisis un regard curieux :
Car alors, il s’enquiert de la prochaine fête.
Danseur vêtu d’azur
Le danseur est venu pour amuser l’ermite
Dans un jardin désert, où sont de vieux tombeaux.
Il imite un guerrier, c’est bizarre et c’est beau,
C’est le dévoilement d’un rêve sans limite.
Car son esprit, avec un art toujours nouveau,
Sait se moquer de tout, sans qu’on ne s’en irrite.
La narratologie merveilleuse l’habite
Et ce fier combattant danse avec son cerveau.
Ermite, tu n’as point fait venir une femme,
Ton comparse eût dansé pour cette innocente âme
Qui de son lent ballet apprécie la beauté ;
Mais tu veux être seul avec ce fils des Anges,
Ensemble vous prendrez de ce breuvage étrange
Qui vous procurera la sainte Ébriété !
Canidé volant
Ce canidé volant ne dit pas de mensonges,
Il fréquente surtout des lieux inhabités ;
Une proie pour lui seul, son repas se prolonge,
Il mange des morceaux qui lui ont peu coûté.
Tu dis de cet oiseau qu'il n'existe qu'en songe,
J'entends cette objection sans en être irrité :
Je me complais souvent au rêve où je me plonge,
Rêve qui m'attendrit, dans sa simplicité.
Je suis un habitant des antiques provinces,
J'aime l'amusement, et mon savoir est mince,
D'un poème s'emplit ma cervelle d'oiseau.
Je cueille des raisins sur ma modeste treille,
Puis je taille mon lierre avec de grands ciseaux :
Au jardin, comme moi, s'activent des abeilles.
Duchesse emplumée
Elle a dansé sur la nocturne rive,
Et trois ondins alors ont applaudi ;
Et l’autre soir, le plus ancien m’a dit
Qu’ils sont heureux quand telle chose arrive.
La duchesse est d’une blancheur naïve,
Mais son savoir est très approfondi ;
Et je la vois, dans ce monde assourdi,
Valser toujours par-dessus l’onde vive.
Le vieux castor, et la loutre, et le rat,
Le bûcheron et son robuste bras,
Tout un chacun dans son doux chant se noie.
Le fier chasseur a déposé son arc,
Le noble cerf s’est éloigné du parc,
De la duchesse ils deviennent la proie.
Photosynthèse
La plante absorbe le soleil
Tout en gardant les pieds sur terre ;
Son voisin, l’arbre solitaire,
A déjà quelques fruits vermeils.
La plante est souvent en éveil,
Captant les rythmes planétaires ;
Des chercheurs universitaires
Mesurent son temps de sommeil.
Autour d’elle, tout est splendide,
Le jardin n’a rien de sordide,
C’est un inimitable lieu.
La plante est naïve et candide,
Sa feuille regarde les cieux ;
Car elle a d’invisibles yeux.
Arbre-Chevalier
L’arbre porte un écu de bataille aujourd’hui,
C’est ce qu’il fait, dit-on, chaque fois qu’il est ivre ;
En été sous la feuille, en hiver sous le givre,
Ceux qui l’ont vu ainsi, pour la plupart, ont fui.
L’arbre dit que la guerre est un métier pour lui ;
Que du gris quotidien, les combats le délivrent,
Que porter une armure est sa raison de vivre
Et que c’est un moyen pour surmonter l’ennui.
Cependant la forêt n’est pas à l’agonie,
Elle se porte bien, nul arbre ne le nie,
Et se battre est souvent le fait d’un malappris.
Ce rôle de soldat qu’à lui-même il assigne,
Cet écu de métal dont il est tant épris,
De sa sénilité, sans doute, sont le signe.
Vaillante nef de sable
L’Océan Pacifique a des flots turbulents,
Et quand on le parcourt, on est loin de la terre ;
Ces parages lointains ont vécu plusieurs guerres,
Mais sur la nef de sable, on est fort indolent.
On y mange du crabe et du poisson volant,
Et chacun boit du rhum, comme un vaillant corsaire;
Nul ne sait où s’en va ce navire qui erre
Sur les courants profonds en la mer circulant :
Aucun souci du but, les marins sont dispos,
Ou par temps de labeur, ou par temps de repos,
Je les entend chanter quelques chansons de France.
Leur talent poétique est aussi déployé,
Et, tout au long du jour, il est bien employé,
Rhapsode et matelot sont une fine engeance.
Région de verts daims
Cette forêt gauloise a des senteurs d’airelles ;
Aux clairières, ce soir, les lapins sont assis.
Le feuillage d’été nous semble une aquarelle,
L’écureuil se promène, et la fauvette aussi.
Quelques daims de sinople, à la ramure frêle,
Suivent, par les sentiers, un parcours imprécis ;
Je les vois grignoter la fougère et la prêle,
J’entends la pie lancer son appel indécis.
La forêt ne produit nulle frayeur soudaine,
Ce jour est bienveillant pour les daims et les daines ;
L’eau des petits ruisseaux s’écoule en murmurant.
Un vert daim reste aveugle à tout ce qui l’entoure,
Sauf au ton délicat des plantes qu’il savoure,
C’est sa raison de vivre, et c’est son carburant.
Ronde table de sinople
Huit oncles sont à la sous-préfecture,
Assis en rond pour boire et manger bien,
Parlant aussi, dans un calme olympien,
Car s’agiter n’est point dans leur nature.
Leurs gais propos sont sur la nourriture,
Sur la beauté du règne macronien,
Sur des sujets sans rapport et sans lien ;
Je ne saurais les mettre en écriture.
Ce souvenir, cependant, mon coeur veut
Le conserver, en fidèle neveu,
De gens plaisants et parfois un peu lestes.
Je n’ai pas su toujours vous dire adieu,
Gentils parents, aimables petits vieux,
Oncles dormant au royaume céleste.
Sagesse ducale
De la forêt nocturne il aime les feuillages,
Les grands troncs, même ceux qui furent mutilés,
Les ermites songeurs, les bardes exilés
Et du cousin Corbeau le surprenant ramage.
Car le grand-duc n’est pas un goéland de plage,
Tu ne le verras point vers les vagues filer,
Ni prendre du poisson dans son bec affilé ;
Jamais le sel marin ne charge son plumage.
Il ne veut rien savoir du mouvement des flots,
Il préfère cent fois la danse des bouleaux
Et le reflet d’argent des feuilles sous la lune.
Tels sont les grands hiboux, selon ce que j’ai lu,
Indifférents toujours au flux et au reflux,
Et jamais ne creusant de terrier dans les dunes.
Noble chimère d’azur
Se complaisant dans les calamités,
(Car son parcours n’est pas irréprochable),
Cette chimère, un monstre véritable,
Si tu la vois, tu dois te lamenter.
Heureux si tu n’en es point molesté !
La rencontrer n’a rien de délectable,
C’est un visa pour un sort lamentable,
Un vaillant barde, avant moi, l’a chanté.
Si ta parole à son coeur est contraire,
Tu le sais bien, c’est là qu’il faut se taire ;
Et ne va point lourdement soupirer,
Puisqu’un soupir lui paraît une plainte ;
Éloigne-toi, fuyant cette contrainte,
Rien ne peut-on de chimère espérer.
Seigneur Triton Volant
Cet animal gouverne un domaine infini,
Univers parallèle où les soleils sont roses,
Où plaident les trous noirs pour de très nobles causes;
C’est le Triton Volant, de sinople est son nid.
Ses milliards de sujets sont assez désunis ;
Inextricables sont les questions qu’ils se posent,
Nul arbitre, nul juge un verdict n’y oppose,
Et le pouvoir central est plutôt démuni.
Les nombreux insoumis siègent sur leurs gradins,
Sauf ceux qui aiment mieux s’endormir au jardin :
-- Il ne fait pas mauvais, notre ciel est bien rouge !
Le triton, certains jours, aimerait être un loup,
Mais il ne sait pourquoi, le motif en est flou,
L’envie de pourchasser des animaux qui bougent.
Baron loup d’azur
C’est un loup d’autrefois qui d’azur se colore ;
Aimant le crépuscule, aussi les feux du jour,
Ce seigneur a rêvé, ce seigneur rêve encore,
Son coeur est envahi d’éternelles amours.
Son âge ne le rend ni paresseux, ni sourd,
Il est loup de la steppe, et non pas dinosaure ;
Les sorts ne peuvent point arrêter son parcours,
Il n’est jamais craintif et toujours, il dévore
Des innocents agneaux la chair juteuse et tendre.
Ce sont des compagnons dont il ne peut s’éprendre,
Autrement leur trépas le laisserait en pleurs.
Or, ce grand prédateur n’est pas qu’indifférence,
Toujours il est ému de la même souffrance
Quand il voit le déclin des arbres et des fleurs.
Baronne Sirène
Sirène point ne veut au naufragé complaire ;
Aussi, de « Naufrageuse », elle prend le surnom.
Voudrait-elle, aussi bien, de Dame le renom ?
Elle peut désirer l’un et l’autre contraire.
Sirène se tient seule et ne sait pas quoi faire,
Ne sachant dévorer ce qui n’a pas de nom;
Ni lâcher cependant son trésor, ou sinon,
L’hippocampe mauvais le pourra contrefaire.
Cet hybride marin ne sait pas ce qu’il veut ;
Il désire émerger, voir le sol, s’il le peut,
Mais toujours conservant ce qui fut dur à prendre.
Le rimailleur travaille à faire une oeuvre d’art,
Regrettant de ne point ressembler à Ronsard ;
À rire de ma plume, il veut bien condescendre.
Monarque aquatique
Ce n’est un coeur de lion qui bat en sa poitrine,
Mais son corps est robuste, et n’est pas sans beauté ;
Les seigneurs de la mer, à l’unanimité,
Disent que sa valeur sur la leur prédomine.
Est-il le vieux gardien de quelques lois divines,
Est-il le souverain de ces flots agités ?
Plus d’un poisson me dit qu’il est sans cruauté,
Que son âme est toujours pure comme une hermine.
Il va sous l’horizon, nul ne peut plus le voir,
Car tel fut, de tout temps, son étrange pouvoir :
Celui de se soustraire à l’éclat de la flamme.
Du monarque des eaux, j’entends battre le coeur ;
Il a peu de plaisirs et n’a pas de douleur,
Et puis, je le sais bien, les poissons n’ont pas d’âme.
Monstrecerf de gueules
Son plumage est splendide et sa ramure est forte ;
Quand il lance un appel, je l’entends clairement.
Vers son gîte il revient, chargé de son tourment,
Puisqu’il sait que bientôt, la magie sera morte.
C’est un fier cervidé, mais d’une étrange sorte,
Autrefois poursuivi par le comte Roland ;
Il s’enfuit dans les cieux, cet animal volant
Que sans se fatiguer le doux zéphir transporte.
Or, il est fatigué, ce cerf devenu vieux,
Un brouillard inconnu s’installe dans ses yeux,
Son audace lui fut plus qu’à demi ravie.
Il existe un peu moins, tel semble être son sort.
Il ne se souvient plus des plaisirs de sa vie,
Aucun dieu trépassé n’envie un monstre mort.
Paternel hippocampe
Le roi Neptune est satisfait de toi,
Qui tes devoirs paternels ne délaisses;
Tu prends grand soin des fils de ta maîtresse,
En souvenir d’un amoureux émoi.
Voir l’hippocampe est un plaisir pour moi,
Lui qui jamais ne montre de tristesse.
De ses enfants il s’occupe sans cesse,
Telle est son oeuvre, il y met de la foi.
Cette vertu de tous est admirée,
Mainte sirène on voit être attirée,
Sans qu’il le sache : il n’aime que les siens.
Aucun mot dur n’est produit par sa bouche,
Rudesse ni colère ne le touchent,
Ce brave père est l’emblème du Bien.
Loup-barde
Il chante sous la lune pâle,
Il ne connaît que peu de mots ;
Il charme tous les animaux,
Ce barde-loup, ce fringant mâle.
Je connais d’autres loups qui râlent,
Parmi les brouillards matinaux ;
J’en connais qui font des signaux
À la confusion générale.
La vie d’un loup, c’est, ici-bas,
Bien des peines et des combats,
Des nuits glacées sur la montagne,
Des malheurs, des tourments subtils,
Mais leur chanson les accompagne :
De ceux d’antan, que reste-t-il ?
Raisins au jardin du renard
Ce sont les raisins des fêtes sauvages,
Les raisins des dieux de l’antiquité ;
Les garde un petit Priape sculpté,
Qui sait conjurer d’oiseaux les ravages.
En tirera-t-on quelque fort breuvage,
Cet aimable vin de fraternité ?
J’en connais aussi qui prennent du thé,
La Garonne en a peu sur ses rivages.
Les raisins ont pris des tons de turquoise,
L’insecte leur trouve un goût de framboise ;
En juger devra Bacchus immortel.
Il n’en boira point, ce Priape en plâtre,
Mais trinqueront bien le maître et le pâtre,
Le sommelier, même, ou soi-disant tel.
Goupil de sable
Ce goupil suit sa route en errance éternelle,
Mais son coeur reste jeune, et n’est pas endurci,
Il marche sans fatigue et sans nul grand souci,
Car il suit le sentier où son plaisir l’appelle.
Elle a bien refroidi, l’âme jadis rebelle,
Nul soupçon de péché dans ce goupil noirci,
Son esprit, d’un calcul, n’est jamais obscurci,
Et, s’il a des secrets, jamais ne m’en révèle.
Il multiplie ainsi ses pas, sans les compter,
La nature est pour lui d’une immense bonté
Qui s’offre chaque jour, sans qu’il ne la réclame.
Fier goupil, je voudrais prendre exemple sur toi,
Car tu as pour planer les ailes de la foi ;
Le vent tumultueux n’affecte pas ton âme.
Diable ovin
Il pratique l’humour au troisième degré,
Ce grand bélier maudit, ce démon plein de ruse ;
Mais sa plume tranchante a la faveur des muses,
Ainsi que des mentors qu’il a pu rencontrer.
Ce mouton dans le camp des auteurs est entré,
Comme en un poulailler s’introduit une buse,
Ou parmi les clairons la lourde cornemuse,
Et ses vers dans leur prose ont voulu s’infiltrer.
Fantôme d’Andersen, lui aurais-tu fait signe
Que de vilain canard il est devenu cygne,
Ce qu’il ne pouvait voir avec ses propres yeux ?
Dès lors, traçant un trait qui jamais ne dévie,
Cet ovin nous décrit les choses de la vie
Et se souvient du temps qu’il fut agneau de Dieu.
1891-1942
Pour Edith, prier, c’est aimer ;
C’est en telle foi qu’elle est morte ;
Bien rares sont amours si fortes,
Qu’un orage vient allumer.
Car ce monde était enflammé
D’un combat de mauvaise sorte ;
Le feu que telle guerre porte
Venait notre honneur consumer.
Edith opposa son amour
Et combattit, jour après jour,
Auprès de ceux qui mal endurent.
C’est un exemple, son ardeur,
Son acceptation des brûlures
Qui jamais n’ont noirci son coeur.
Papillon de septembre
Papillon bicolore, aimable hôte des cieux,
On écrivit sur toi des chansons populaires ;
Car tu fus visiteur des fontaines peu claires,
De la lande bretonne et de mille autres lieux.
Et je te vois voler, ici, de mieux en mieux,
Ce qui, tu t’en doutais, ne saurait me déplaire,
Papillon sans tourment, papillon sans colère :
La plus grande douceur s’exprime dans tes yeux.
Car tu ne fus jamais un insecte rebelle,
Tu crois que l’air est pur et que la vie est belle,
Et volontiers tu dis à toutes gens merci.
Peut-être, l’univers pour toi n’a pas de voile,
Tu déchiffres sans mal le jargon des étoiles,
Tu penses simplement : le cosmos est ainsi.
Jeu de l’oie
La grande oie prit, par jeu, l’état de sentinelle,
Pour guetter les goupils vers la cour s’avançant ;
Du palmipède c’est la coutume éternelle
Que dans Rome éprouva maint Gaulois pâlissant.
Quel air de majesté, volaille originelle !
Du domaine tu es le gardien menaçant,
Digne d’appartenir aux légions immortelles
Qui jadis ont veillé sur ce monde naissant.
Tu me donnerais presque envie d’être oie, moi-même,
Car ton état me semble un enviable sort,
Même s’il doit parfois réclamer des efforts.
Or, cette oie protesta contre mon choix de thème,
N’ayant jamais voulu ma chronique nourrir,
Encore moins donner matière à discourir.
Oiseaux de fin du monde
Quand l’univers va perdant sa vigueur,
Quelques oiseaux subsistent au bocage ;
Sans se troubler de l’inquiétant ombrage,
Ils font leur vie dans ce monde en langueur.
Au souvenir d’anciens printemps charmeurs,
Dont le parfum en quelques lieux surnage,
Ces passereaux disent en leur ramage
Qu’ils ont gardé un peu de bonne humeur.
Peut-être un peu trop forte est la lumière
Qui ce matin fait cligner leurs paupières ;
Nos deux héros en prennent plein les yeux.
L’univers dit à leur âme ténue
Qu’une saison de flamme est advenue ;
On peut le voir, en observant les cieux.
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